Le paradoxe des taux: quand la baisse fait monter

Baisse des taux et hausse des taux © Getty
Bernard Keppenne Chief Economist CBC Banque

Depuis le début de l’année, les Banques centrales ont baissé leurs taux directeurs, assez sensiblement en zone euro, plus modestement en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, et pourtant les taux longs se sont très fortement tendus.

Ainsi, durant le mois de septembre, le rendement du bon du Trésor américain à 30 ans a atteint un niveau de 4,99 %, tandis que les Gilts britanniques à 30 ans ont atteint 5,69 %, son niveau le plus élevé depuis 1998.

Comment expliquer ce paradoxe ?

Par sa politique monétaire, une Banque centrale agit essentiellement sur les taux courts, sauf en cas de crise grave, comme la crise Covid, où elles ont activé des outils spécifiquement créés pendant la crise des subprimes pour faire baisser les taux longs. En agissant sur les taux courts, elle espère néanmoins peser sur l’ensemble de la courbe, mais n’a pas de prise directe sur celle-ci.

Le paradoxe vient, en partie, du fait que, de façon concomitante à la baisse des taux courts, les Banques centrales réduisent la taille de leur bilan, bilan gonflé par les achats d’obligations d’Etat durant la crise des subprimes et la crise Covid.

En agissant en tant que quasi-acheteuses uniques du jour au lendemain, elles disparaissent du marché et ne sont plus présentes pour absorber les émissions obligataires des Etats. Dans le cas de la Grande-Bretagne, c’est encore plus marquant car la Banque d’Angleterre ne se contente pas de laisser les obligations arriver à échéance, elle vend une partie de son portefeuille faisant encore plus grimper les taux longs.

Même si l’impact est limité, cela représente tout de même l’équivalent d’une hausse des taux de vingt-cinq points de base, alors que dans le même temps la Banque centrale baisse ses taux courts, ce qui est un rien schizophrénique.

D’autres raisons  

La deuxième raison de cette hausse des taux longs provient des craintes quant à la capacité des gouvernements à financer leurs déficits. L’inquiétude vient entretenir un cercle vicieux selon lequel la dette, gonflée par cette hausse des taux longs, pourrait déboucher sur une crise, les Etats ne sachant plus assurer son financement.

Le danger est évidemment que la hausse des rendements obligataires oblige les entreprises et les gouvernements à réduire leurs investissements. Une telle réduction risquerait de freiner la croissance économique et diminuerait les recettes fiscales, ce qui accroît encore les déficits.

Tout le monde a évidemment le cas de la France en tête, où le gouvernement est confronté à un déficit de 5,8 % et peine à adopter un budget. Mais globalement, tous les Etats ont aggravé leur endettement. Les investisseurs exigent alors des primes de risque plus élevées, d’autant plus si l’échéance de l’obligation est longue.

Réduire les déficits

Pour calmer les marchés, les Etats doivent réduire leurs déficits. Cela passe par une réduction des dépenses mais aussi par une augmentation des impôts, ce qui pourrait entraîner une baisse de la croissance qui viendrait encore aggraver les déficits. La marge de manœuvre étroite explique la prudence des gouvernements et leurs difficultés de réduire les déficits, tout en devant financer la défense, la transition énergétique et les investissements dans les nouvelles technologies.

En Europe, même l’Allemagne va devoir emprunter 500 milliards pour développer les infrastructures et le digital. Alors que, jusqu’à présent et compte tenu de l’état de son économie, le pays était très strict dans la gestion de ses deniers, le gouvernement n’a aujourd’hui pas d’autre solution. Cette situation aura dès lors un impact sur les taux longs vu les besoins de financement.

Une dernière cause de cette hausse des rendements est le fait que les anticipations d’inflation sont plus élevées qu’avant la crise Covid, ce qui implique que l’investisseur exige un rendement supplémentaire pour compenser l’inflation.

Situation particulière aux Etats-Unis

Si en Europe les gouvernements semblent vouloir réduire les déficits, en revanche, « la belle et merveilleuse grande loi » de Trump devrait, selon le Congressional Budget Office (CBO),  augmenter la dette publique de 3,4 billions USD au cours des dix prochaines années. Cela signifie que le déficit, qui était de 6,2% du PIB en 2024, pourrait s’élever en 2025 à 7% du PIB. Même si les recettes devraient augmenter sensiblement avec l’imposition des droits de douane, ses effets délétères sur l’économie américaine pourraient peser sur la croissance et dès lors aggraver le rapport déficit/PIB.

Prévisions

Pour toutes ces raisons, les taux longs ne vont pas baisser dans les prochaines années, étant donné les besoins de financement des Etats et des niveaux d’endettement. De plus, pour la majorité des Banques centrales le processus d’assouplissement monétaire touche à sa fin, la structure de la courbe devrait donc se consolider aux niveaux actuels.

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