Eddy Caekelberghs
Horresco referens…
Depuis début avril, la Russie préside pour un mois le Conseil de sécurité de l’Onu. Comme en février 2022, quand elle a envahi l’Ukraine. Faut-il en rire ou en pleurer? Après tout, cette présidence est assurée à tour de rôle dans l’ordre alphabétique anglophone des Etats membres. Et ce Conseil n’a jamais interdit aux Etats-Unis, en flagrant mensonge sur les armes irakiennes, d’y siéger avec droit de veto. Le processus onusien est institutionnellement aveugle parce qu’il suppose que le dialogue est supérieur à tout affrontement définitif et sans rémission. Et à cet égard, le veto est – qu’on le veuille ou non! – un élément de ce “dialogue” qui permet aux puissances de sauvegarder la face en préservant une médiation ultérieure. Horresco referens… J’en frémis en le racontant!
C’est la première fois que le Conseil de sécurité a à sa tête un pays dont le chef d’Etat fait l’objet d’un mandat d’arrêt, pays accusé de crimes de guerre aussi documentés.
Le chef de la diplomatie ukrainienne, Dmytro Kouleba, a déclaré sur Twitter qu’il s’agissait d’une “mauvaise blague”: “La Russie a usurpé son siège, elle mène une guerre coloniale ; son président est un criminel de guerre recherché par la Cour pénale internationale pour enlèvement d’enfants (…) [cette présidence] est une gifle au visage de la communauté internationale”. Et là, en effet, il y a un hiatus! Parce que si cette présidence technique n’est pas juridiquement incorrecte, elle écorne symboliquement l’idée même de justice internationale. C’est la première fois en effet que le Conseil a à sa tête un pays dont le chef d’Etat fait l’objet d’un mandat d’arrêt, pays accusé de crimes de guerre aussi documentés.
Dès lors faut-il exclure la Russie de l’Onu comme le préconise le quotidien allemand Tagesspiegel qui déclarait: “On peut remettre en question l’adhésion de la Russie en invoquant l’argument qu’elle n’a jamais vraiment fait l’objet d’un vote. Après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, la Russie avait simplement sollicité ce siège, sans résistance internationale. Un statut douteux – et un statut qui ne devrait pas rester intangible aux Nations unies. (…) Car l’action du pays est contraire à la paix dans le monde et à ses engagements de membre permanent du Conseil”.
L’argument est fallacieux et je doute que cela soit tout simplement envisageable ou même souhaitable. Fermer les portes et les possibilités de débats n’étant pas la solution. Certes, à Vilnius, Delfi rappellait que “Moscou avait été exclue de la Société des Nations après l’invasion de la Finlande [en 1939/40].” Et le portail d’informations lituanien de poursuivre: “Après avoir attaqué l’Ukraine et commis des milliers de crimes de guerre, la Russie prend la présidence du Conseil de sécurité. L’Onu est devenue une fiction”. Mais Delfi concluait de manière lucide: “Une fiction dont nous devons tous nous arranger puisque les dictateurs, à la solde de la Russie et de la Chine, n’accepteront jamais une réforme”.
Pour ma part, je rejoins le magazine polonaisPolityka: “La guerre d’agression russe en Ukraine a une nouvelle fois révélé cette déconnexion des réalités et démontré la faiblesse principale du Conseil de sécurité: l’impunité d’un membre permanent qui bafoue la charte de l’Onu. Mais on peut aussi considérer la chose sous un autre angle (…) En général, le contact direct apaise les esprits. Le Conseil de sécurité reste donc un forum constant dans lequel les Etats les plus puissants se rencontrent régulièrement, qu’ils le veuillent ou non”.
Sans compter que les pays du sud de la planète, appelés “sud global”, ne condamnent pas et au mieux “ignorent” Moscou et cette guerre! Ceci signant aussi, avec l’appui chinois à la Russie, une furieuse perte d’influence de l’Occident que nous sommes.
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