Pierre-Henri Thomas
Pourrons-nous dire un jour “Merci, Monsieur Trump”?
La mode est aux lamentations depuis la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines. C’est vrai, l’année qui s’annonce sera dure, le cabinet que le nouveau président prépare sera plus extrême encore qu’en 2016. La situation en Ukraine risque de s’aggraver. Et la probabilité de guerre commerciale avec l’Europe et la Chine est très élevée. Une guerre qui nous sera dommageable puisque nous avons une balance commerciale excédentaire à l’égard des États-Unis.
Mais ce pessimisme quasi pavlovien a quelque chose de très malsain. Mario Draghi l’a souligné dans son rapport, la compétitivité européenne est handicapée par une multiplication de normes, une énergie chère, une politique industrielle et digitale aux abonnés absents ainsi qu’une défense dans les limbes. Or, paradoxalement, l’arrivée de Donald Trump et de son cabinet de combat pourrait être un puissant moteur pour effectuer les changements structurels que nous ne voulions pas réaliser jusqu’ici en Europe. Ce qui pourrait finalement nous offrir une position commerciale plus solide.
On ne dit pas que ce sera facile. Mais les incitants à changer sont plus forts qu’avant. D’abord parce que la concurrence américaine, si elle va durement s’exprimer sur les tarifs douaniers, pourrait être sérieusement affaiblie si les politiques annoncées sont mises en œuvre. Une série de mesures devrait en effet ébranler l’économie outre-Atlantique et plus spécialement les ménages.
À l’Europe de faire les bons choix, de profiter du doute sur les États-Unis pour réorienter son épargne baladeuse vers son lieu d’origine.
Le danger pour les États-Unis pourrait provenir de ce nouveau département pour l’efficacité gouvernementale, porté par l’idée fausse, qu’un État se gère comme une entreprise. Ce département sera copiloté par Elon Musk et son comparse Vivek Ramaswamy. Ils veulent réaliser 2.000 milliards d’économies, soit 30% du total du budget fédéral américain. Les seuls domaines où ils pourront manier la hache budgétaire sont les secteurs sociaux au sens large : les soins de santé, les retraites, les services sociaux et l’administration fédérale. Vivek Ramaswamy, quand il était candidat aux présidentielles, prônait même la suppression du ministère de l’Education, de l’Administration fiscale et du FBI, mettant donc des dizaines, voire des centaines de milliers de fonctionnaires au chômage. Pour l’économie américaine, les mesures prônées par ce duo constitueraient un choc majeur. Et le covid nous a montré qu’une administration populiste est particulièrement mauvaise en cas de crise grave.
Sur le plan énergétique, les États-Unis se sont dotés d’infrastructures d’exportation de gaz liquéfié qui monteront en puissance à partir de l’an prochain et qui ne seront rentables que si les Européens deviennent leurs clients. Nous pourrions en effet en profiter, en assurant pour le temps de la transition énergétique un approvisionnement en gaz relativement bon marché. Cela ne signifie pas que nous devrions abandonner nos efforts de décarbonation, mais cela nous laisserait le temps de nous organiser, pour éviter de répéter l’erreur que nous avons commise avec notre industrie automobile. Idem pour l’industrie de la défense : si l’apport financier américain diminue, c’est à l’Europe à dépenser plus, certes, mais aussi à dépenser davantage “européen” pour sa sécurité.
À l’Europe dès lors de faire les bons choix, de profiter du doute sur les États-Unis pour réorienter son épargne baladeuse vers son lieu d’origine : l’économie européenne. Cela afin de réindustrialiser son économie, résoudre son problème énergétique et regagner des parts de marché. Finalement, la politique de Donald Trump pourrait nous aider à réaliser ces investissements massifs et rapides. Si cela réussit, nous pourrons alors dire : merci, Monsieur Trump. Mais entretemps, de grâce, cessons de nous lamenter.
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