Pierre-Henri Thomas
Europe: mobilisons notre cinquième pouvoir
Dans ce monde conflictuel qui surgit devant nous, l’Europe essaie de reprendre la main dans une série de domaines : la sécurité, la défense, la réindustrialisation, la relocalisation de certaines activités stratégiques en son sein. Mais pour l’instant, nous n’avons pas beaucoup de cartes en main : nous quémandons notre énergie ailleurs, notre croissance est poussive, nous accusons un retard dans des technologies clés et nous n’avons pas encore de défense crédible.
Face à Churchill qui lui demandait de respecter les libertés religieuses en Europe de l’Est, Staline avait répondu : “le pape, combien de divisions?” Donald Trump embrasse la même logique stalinienne, usant indistinctement de menaces militaires, nucléaires et commerciales pour forcer des partenaires jugés plus faibles. Toutefois, ce serait une grande erreur d’ignorer la force du soft power. Moscou l’apprendra à ses dépens, en constatant que, finalement, Jean-Paul II et la papauté se vengeront en précipitant l’éclatement de l’URSS et du “bloc de l’Est”.
On ne va pas comparer Vatican et Berlaymont, mais si l’Europe n’a pas des milliards de fidèles, elle a au moins 450 millions de consommateurs et un grand marché, qui peuvent constituer une arme redoutable, certains disent même : un “cinquième pouvoir”. L’Union est en effet le seul grand débouché à l’exportation qui s’offre encore aux États-Unis. Le conflit avec la Chine n’est pas près de s’éteindre, les relations avec l’Inde sont compliquées, celles avec le Canada sont au bord de la rupture. Les États-Unis veulent continuer à avoir accès à notre marché ? Soit, mais alors qu’ils baissent d’un ton et entament des négociations commerciales sérieuses et respectueuses. C’est d’ailleurs dans l’intérêt des deux parties : quoi qu’on en dise, l’économie est encore très mondialisée et boycotter des produits américains en Europe a donc aussi peu de sens que de matraquer les produits européens aux États-Unis.
“L’Europe a 450 millions de consommateurs et un grand marché, qui peuvent constituer une arme redoutable.”
Jouer de ce cinquième pouvoir suppose toutefois de renforcer ce grand marché encore trop imparfait. Mario Draghi rappelait récemment que nous n’avions pas besoin des États-Unis pour nous imposer des barrières tarifaires très efficaces. Selon le Fonds monétaire international, ces barrières intra-européennes sont équivalentes à des tarifs douaniers de 45% sur les biens manufacturés et de 110% sur les services. Sans compter ces réglementations contraignantes : le Fonds monétaire international estime que le RGPD a amputé de 12% les résultats des PME européennes du secteur technologique. Cela, alors que, parallèlement, les marchés publics européens sont bien plus ouverts aux entreprises chinoises et américaines que l’inverse.
Abolir ces freins, et surtout changer la frilosité européenne en incitant ménages, pouvoirs publics et entreprises à consommer européen aurait trois avantages. D’abord, cela ne coûte pas grand-chose. Ensuite, cela renforce la compétitivité, et donc la résilience de l’économie européenne dans une période de troubles. Enfin, cela montre aux partenaires extérieurs, et singulièrement aux États-Unis, que cela vaut peut-être la peine d’abandonner une posture belliqueuse si l’on veut conserver une part du marché européen.
À l’heure où la diplomatie américaine va chercher à diviser en essayant de négocier individuellement des accords commerciaux avec chaque État membre, il est bon de se rappeler cette phrase du président polonais Donald Tusk, qui s’étonnait : “500 millions d’Européens demandent à 300 millions d’Américains de les défendre contre 140 millions de Russes qui n’arrivent pas à vaincre 40 millions d’Ukrainiens. S’il y a quelque chose qui nous manque aujourd’hui, ce n’est pas la supériorité économique, militaire ou démographique, mais la conviction que nous sommes une puissance mondiale”.
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