Olivier Mouton
Le besoin urgent d’un nouveau pacte social
Une colère désabusée. La manifestation nationale, qui a rassemblé 18.000 personnes lundi à Bruxelles, avait une tonalité un peu amère, elle qui voulait fustiger un climat général plutôt qu’une seule réforme.
C’était un cri d’alarme – assez vain – face au risque d’un dumping social généralisé. Mot d’ordre: “Ce qui arrive chez Delhaize pourrait arriver partout”, alors que Comeos, la fédération belge du commerce et des services, annonce que les restructurations sont loin d’être terminées.
L’occasion, aussi, de bomber le torse contre un projet de loi du ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open Vld), visant à sanctionner les “casseurs”. “Le droit de grève est en danger dans notre pays”, clame Thierry Bodson, président de la FGTB. Le texte incriminé a été renvoyé pour examen au Parlement. PS et Ecolo s’y opposent.
Le plus important, dans cette mobilisation, était surtout… ce qu’elle révélait de plus profond: l’impasse du dialogue. Notre pays connaît une tension sociale latente, dans un contexte post- covid marqué par le retour des préoccupations budgétaires et des menaces sur la compétitivité. En Belgique francophone, surtout, l’exemple français de révolte percole. Mais la Belgique d’Alexander De Croo n’est pas la France d’Emmanuel Macron: chez nous, les conflits sont lissés par la concertation sociale et les gouvernements de large coalition. Résultat: une paix sociale préservée, à saluer face aux débordements constatés à Paris, mais aussi un couvercle posé sur les sources de nos maux.
Il baliserait la relance économique, la réindustralisation, l’augmentation du taux d’emploi, la sauvegarde de la sécurité sociale, la transition écologique…
Les syndicats n’admettent pas que le monde change et s’arcboutent sur les acquis sociaux. Pourtant, les entreprises doivent s’adapter face aux concurrences et aux pressions des coûts. Le patronat peine à regarder l’horizon au-delà des marges bénéficiaires et des actionnaires à satisfaire. On mutualise les aides publiques, pas les profits. Le pire, c’est que les relais politiques sont à l’unisson: PS et Ecolo freinent sous la pression du PTB, le MR glisse vers une droite décomplexée. Et ce fossé socioéconomique se double d’une fracture communautaire: Flandre prospère, Wallonie à la traîne.
C’est vers les Pays-Bas que la Belgique devrait tourner son regard, davantage que vers une France écartelée. Nos voisins du Nord ont fait de la flexibilité et de l’agilité des atouts majeurs qui leur ont permis de mettre sur pied des champions d’Europe. N’oublions pas non plus de garder un œil sur l’Allemagne: le consensus social y reste une source de résilience, malgré les tempêtes.
La Belgique devrait se doter d’un nouveau pacte social pour éviter une dangereuse inertie. C’était déjà le souhait de nombreux acteurs avant le scrutin de 2019. Les fondations du pacte actuel, qui remontent à l’après-guerre, sont dépassées. Le besoin devient d’autant plus pressant que les élections du 9 juin 2024 et les contraintes budgétaires risquent de tendre le climat. Un pacte social revisité baliserait la relance économique, la réindustrialisation, l’augmentation du taux d’emploi, la sauvegarde de la sécurité sociale, la transition écologique… Il contiendrait des évolutions nécessaires, en veillant à un équilibre. En n’évitant pas les tabous et en osant être créatif: indexation des salaires modulable selon les revenus, activation des chômeurs et meilleure gestion de la carrière (lire notre dossier en page 22 et suivantes), développement de l’actionnariat salarié et responsabilisation des acteurs, croissance verte…
Un tel pacte social réengagerait les partenaires sociaux à travailler ensemble autour d’objectifs communs en matière de prospérité, d’humanité et de durabilité. Est-ce vraiment une utopie? Et n’est-ce pas dans l’intérêt de tous?
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici