La Belgique détient le record des grèves. Et ce sont les francophones qui débraient le plus souvent. Selon les statistiques, notre pays fait jeu égal avec la France, mais domine largement l’Allemagne et les Pays-Bas, deux pays avec qui nous sommes en compétition directe et où le modèle de concertation évolue. Il n’y a pas de quoi fêter ce “sacre” comme une Eurovision de la chanson ou une Coupe du monde : cette culture de la grève abîme l’économie, délibérément, et empêche tout projet collectif.
L’année 2025 devrait battre tous les records. Depuis la première grève nationale “préventive” du 13 décembre dernier, les mouvements sociaux se sont multipliés : une autre grève nationale, des contestations de services publics, des actions du non-marchand ou des enseignants, plus de 25 arrêts dans les chemins de fer… N’en jetez plus et ce n’est pas fini. “Un calendrier insensé”, dénonce Pierre-Frédéric Nyst, président de l’Union des classes moyennes (UCM). Les patrons “n’en peuvent plus”.
Cette culture de la grève abîme l’économie, délibérément, et empêche tout projet collectif.
Le plus préoccupant, c’est le mur d’incompréhension érigé entre la droite et la gauche, entre patronat et syndicats. Comme s’il n’y avait même plus de capacité à s’entendre sur le constat. Les responsables d’entreprise mettent en garde contre la compétitivité en danger et appellent, dixit Pieter Timmermans (FEB), à accélérer le train des réformes. Les leaders syndicaux affirment être “sortis” de toutes les places où la concertation peut avoir lieu et affirment que “ la droite dure ” veut remettre en cause le pacte social d’après-guerre. Les uns et les autres plaident le dialogue, mais ce vœu ressemble à une posture.
“Je lance un message aux politiques, clame Frédéric Panier, CEO d’AKT. La paix sociale est importante, il faut promouvoir ce dialogue.” Après avoir présenté un point conjoncturel soulignant combien l’économie wallonne “cherche son second souffle”, le patron des patrons wallon sait à quel point l’implication des forces vives est vitale. Les réformes “dures” ne sont qu’une première étape. Il s’agit désormais de voir comment accompagner les chômeurs et les malades de longue durée sur le chemin du travail, convaincre les entreprises de recruter ou garder les travailleurs plus âgés, adapter les formations à l’heure où la révolution de l’intelligence artificielle bouscule tout… Il n’y a pas de temps à perdre.
La vertu du dialogue est indéniable. Lui seul permettra de garder le cap, en évitant d’aller dans le mur. Le gouvernement De Wever a fait atterrir sa “loi-programme”, son premier paquet de réformes, en amendant légèrement ses intentions : réforme du chômage étalée dans le temps, assouplissements pour la réforme des magistrats… S’il n’entraînera pas la gauche radicalisée avec lui, le Premier ministre doit au moins prendre la peine d’écouter ceux qui comprennent la nécessité de bouger.
Un pacte social renouvelé semble impossible dans un tel climat de contestation sociale. Pourtant, cela aurait du sens de crever les abcès. Le début de ces records belges de grève, disent les chercheurs, remonte à 2017 et à la modification de la loi sur la norme salariale. Depuis lors, il n’y a pratiquement plus de marge pour des augmentations salariales décidées par les partenaires sociaux. En revanche, notre pays profite, en cas d’inflation, d’une indexation automatique des salaires qui compense cela. Pour sortir de l’impasse, ne pourrait-on pas rendre du souffle au dialogue social en assouplissant la norme et préserver la compétitivité en réformant l’indexation ? Cela provoquerait un électrochoc. Même si toucher à ces tabous risque… de jeter des gens dans la rue.