Olivier Mouton
La Belgique est le pays de l’estompement de la norme
Dans notre petit royaume aux législations complexes et aux compromis légendaires, une spécialité nationale consiste à trouver la meilleure façon de contourner les règles.
La Belgique est le pays de “l’estompement de “la norme”. Il s’agit de trouver des formules illégales qui ne se remarquent pas, voire d’inventer des habitudes à la frontière de la légalité. Parfois, la pratique devient à ce point généralisée… que l’on en oublie l’esprit même du texte initial. Du moins, on feint de l’oublier. Le pire étant que le mauvais exemple vient régulièrement d’en haut, de là même où l’on édicte les lois. Deux cas dans l’actualité récente témoignent de ces regrettables petits arrangements entre amis.
Une dizaine de hauts fonctionnaires de la Chambre ont bénéficié depuis 1998 d’indemnités en complément de leur pension légale de façon à dépasser le seuil autorisé par la loi. Un texte datant de 1978, baptisé “Wijninckx”, du nom du ministre PS des Pensions de l’époque, leur empêchait d’obtenir un montant supérieur à 7.813,40 euros brut par mois? Qu’importe, moyennant un règlement interne, des centaines de milliers d’euros supplémentaires ont été généreusement versés. Une pratique clairement illégale. Deux présidents honoraires de la Chambre, Herman De Croo (Open Vld) et Siegfried Bracke (N-VA), ont eux aussi bénéficié de primes supplémentaires à leurs indemnités de sortie. Là aussi, il semble que la pratique ait été illégale.
Stupéfaction? Une Chambre plus attentive aurait pu déceler le problème, qui avait déjà été épinglé par l’opposition en commission. Penauds, les responsables cherchent désormais à savoir comment récupérer ces sommes, tandis qu’Herman De Croo, outré par de l’argent qu’il a reçu à l’insu de son plein gré, propose de le reverser… à la Fondation contre le cancer, alors que c’est bel et bien le contribuable belge qui a été floué.
A qui profite le crime? Le PTB savoure chacune de ces révélations et adore saper les fondements de la démocratie. Avec les partis extrémistes au Parlement, le ver est dans le fruit: il leur est facile de surfer sur les discours populistes selon lesquels les élus du peuple sont rémunérés trop grassement, a fortiori si ceux-ci bafouent eux-mêmes les règles qu’ils se fixent.
Tant les entreprises, pour écarter des employés âgés à la rémunération trop élevée, que les syndicats, pour atténuer des fins de carrière pénibles, se sont engouffrés dans la brèche du RCC.
L’autre “affaire” concerne une pratique allant à l’encontre de l’esprit de la loi, pas une conduite illégale en soi. Quoique… Marc Leemans, président de la CSC, annonce qu’il quittera le syndicat avant le terme de son mandat, à la fin de l’année. Un départ volontaire. Mais pour toucher les indemnités de chômage et le complément versé par l’entreprise en vertu du système dit RCC (régime de chômage avec complément d’entreprise), il est officiellement licencié.
La législation du RCC, qui date du gouvernement Michel, avait pour objectif de remplacer les prépensions, devenues quasiment systématiques, pour augmenter le taux d’emploi des 55+. Son contournement s’est généralisé. Tant les entreprises, pour écarter des employés âgés à la rémunération trop élevée, que les syndicats, pour atténuer des fins de carrière pénibles, se sont engouffrés dans la brèche, généralisant cet usage. Et voici désormais qu’un dirigeant syndical donne son assentiment personnel à cet “estompement de la norme”.
La N-VA et les partis libéraux dénoncent une “fraude sociale”. En retour, des représentants syndicaux narguent: si les partis veulent empêcher cette pratique, qu’ils durcissent le texte. Dans un pays où les lois sont faites pour être contournées, on revendique de gonfler encore le magma législatif toujours plus: après tout, une norme doit bien exister pour être contournée, non?
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