Pierre-Henri Thomas

Et l’Europe créa ses eurobonds, “un pas de géant pour l’UE”

Pierre-Henri Thomas Journaliste

L’Edito de Trends-Tenandes.

Quelques heures après le sommet dramatique sur les avoirs russes qui a vu finalement la solution belge l’emporter, les commentaires partaient dans tous les sens. Certains, comme le site Politico, n’hésitaient pas à ranger désormais Bart De Wever dans le camp des populistes anti-européens, tel un vulgaire Viktor Orban à la sauce belge. Pourtant, ce qu’a réussi le Premier ministre au cours de la nuit du 18 décembre est plus qu’un sauvetage des finances publiques belges et de la stabilité financière de l’Union. Il a été l’un des artisans d’un pas énorme dans la construction européenne.

Ce n’est peut-être pas encore très visible, mais comme le souligne un think tank américain (et oui !), “c’est un pas de géant pour l’Union européenne ! Elle a franchi le Rubicon et émis des euro-obligations ! Cela n’avait été fait qu’une seule fois auparavant et l’Allemagne avait juré de ne plus jamais recommencer. (…) C’est un grand pas en avant qui ouvre la voie à d’autres initiatives.”

Certes, la gouvernance européenne a été chahutée et l’aura de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, en a pris un coup ces derniers jours, en encaissant à la fois une défaite sur les avoirs russes, un rétropédalage sur l’interdiction des voitures thermiques et un report de la signature du Mercosur face à la grogne des ­agriculteurs.

Mais ce qui a été fait par l’Europe, à l’insu de son plein gré, lors du sommet des 18 et 19 décembre, est à marquer d’une pierre blanche. En s’engageant à verser 90 milliards d’euros à l’Ukraine, l’Union a activé un recours sans précédent à la coopération renforcée pour émettre un emprunt européen garanti par le budget. Bien sûr, les détails du mécanisme juridique employé, à l’heure d’écrire ces lignes, n’étaient pas encore connus. Et l’on sait qu’avec les décisions européennes, le diable se cache dans les détails. Mais le principe adopté est historique : l’Europe a créé de véritables eurobonds. Elle a émis une dette commune, garantie par 24 États membres sur 27. Permettre à un large groupe d’États membres qui partagent la même vue de créer un instrument de financement commun garanti par le budget européen est une première qui devrait réjouir et ramener le sourire après les crispations de ces derniers jours.

Cela ne dédouane toutefois pas l’actuelle Commission des échecs qu’elle accumule un peu trop ces derniers temps. Le report du Mercosur, ce traité commercial entre l’Europe et un bloc de pays de l’Amérique latine, pourrait, s’il n’est pas bien géré par la diplomatie européenne, signifier la fin de ce partenariat commercial. Un accord pourtant crucial, car il devrait donner un peu d’air aux industriels européens pris en étau entre la compétition chinoise et les tarifs américains. Ce traité, comme les accords commerciaux précédents avec le Japon et le Canada, est l’une des clés pour reconstruire une zone économique “post-Trump” et montrer que l’Europe n’est pas désarmée face aux pressions de Washington, Moscou ou Pékin.

L’erreur a été de ne pas écouter les pays – France, Italie, Pologne… – dont les filières spécifiques (bovines et ovines, surtout) vont souffrir de la concurrence latino-américaine et de ne pas offrir de mécanisme de protection à des agriculteurs déjà bien pressurés, économiquement et réglementairement, depuis des années. Tout comme avec les avoirs russes, la surdité de certaines instances européennes dans le dossier Mercosur face aux intérêts particuliers, et néanmoins légitimes, de certains États membres s’est muée en faute politique majeure. Elle a poussé les fonctionnaires européens à vouloir passer en force, alimentant un rejet de l’Europe auprès des populations concernées. Si ce qui s’est passé ces derniers jours pouvait servir de leçon à l’Europe, ce serait un très beau cadeau de Noël.

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