Pierre-Henri Thomas

Ce n’est pas le gouvernement qui créera 550.000 emplois

Pierre-Henri Thomas Journaliste

On s’apprête à savoir enfin si l’Arizona, en plus d’être un État américain, sera aussi un gouvernement belge. Si l’on en croit les fuites, un gouvernement arizonien éventuel s’aventurerait vers une imposition des plus-values, un plafonnement des avantages sociaux, l’harmonisation progressive des pensions des fonctionnaires vers celles des employés, la suppression de l’indexation des allocations de chômage, la limitation des indemnités de chômage à deux ans maximum, etc. Toute une série de mesures visant à porter le taux d’emploi de 72,3% aujourd’hui à 80% en 2029. Cet objectif de 80%, c’est le graal, derrière lequel courent des générations de Premiers ministres. Parce que si 80% des personnes entre 20 et 64 ans étaient occupées, nous aurions entre 15 et 20 milliards d’euros de plus par an dans les caisses publiques, soit de quoi relever une bonne partie des défis qui sont devant nous.

La tentation est grande, dès lors, de faire de ces 80% l’objectif ultime, ce qui signifie devoir créer 550.000 emplois en quatre ans. Oufti, dirions-nous si nous étions Liégeois. Car tout cela est bien beau sur un tableau Excel, mais la réalité est un peu plus complexe. Créer 550.000 emplois en quatre ans, c’est pousser vers le marché du travail non seulement les 320.000 chômeurs mais aussi les 500.000 malades de longue durée du pays, tout en trouvant des places pour la centaine de milliers de jeunes qui arrivent chaque année.

Ce serait une performance historique. Le gouvernement Michel (2014-2019), par exemple, n’en a créé que 220.000 et les gouvernements Verhofstadt (1999-2008) 350.000 en huit ans. Et cela, dans des contextes économiques sensiblement plus favorables. Car dans la période de sinistrose industrielle actuelle, l’emploi privé a déjà commencé à diminuer et le chômage à augmenter.

“Tout cela est bien beau sur un tableau Excel, mais la réalité est un peu plus complexe.”

Comprenons-nous. Il n’y a rien de condamnable, au contraire, à se fixer des objectifs ambitieux, voire contracycliques. Mais la plupart des mesures qui doivent permettre de dynamiser l’économie et créer des centaines de milliers d’emplois sont de longue haleine et dépassent largement la durée de vie du prochain gouvernement, quel qu’il soit. On parle d’améliorer l’adéquation de l’école au monde de l’entreprise, de soutenir les pôles d’excellence et d’en créer de nouveaux, de réformer véritablement la fiscalité pour favoriser le travail et la prise de risque, de construire une politique énergétique pour les décennies à venir, de resserrer les liens entre recherche pure et recherche appliquée, d’avoir une administration fiscale soutenant réellement le monde économique, etc.

En fait, on parle de changer de culture. C’est en cours, en Wallonie notamment, mais ça prend du temps. Le pire serait, pour atteindre un objectif chiffré, de s’attacher coûte que coûte à créer des emplois, au risque qu’ils soient précaires, créent des distorsions de concurrence (on en a vu avec l’arrivée des titres-services), et ne permettent finalement pas d’avoir un salaire décent. Avec, comme conséquences, on l’a vu avec les mini-jobs allemands, la naissance d’une classe d’électeurs frustrés tentés par les extrêmes ou une augmentation, comme on le voit déjà chez nous, des maladies de longue durée.

Oui, un maximum d’emplois doivent être créés rapidement. Mais le mieux est de laisser cette tâche aux entreprises, en les aidant à évoluer dans un monde complexe et concurrentiel, en simplifiant au maximum les réglementations, en soutenant leur compétitivité, en bâtissant un environnement susceptible de les aider, et sans se rendre prisonnier d’un délai. Et tant pis pour l’agenda politique. Car après tout, ce n’est pas le gouvernement qui va créer ces emplois. Ce sont les entreprises.




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