Pierre-Henri Thomas

Benelux: ce rêve qui cache notre impuissance

Pierre-Henri Thomas Journaliste

On a beau être Belge et donc ne plus s’étonner de rien, il y a encore des moments où l’on reste bouche bée. Nous avons un Premier ministre qui vient de déclarer que la création de son propre pays fut “la plus grande catastrophe historique qui nous soit arrivée”. Et un autre, ministre-président de la Région la plus riche, qui applaudit à l’idée que le Benelux devienne un seul et unique État. Dans n’importe quel autre pays, nous aurions une crise majeure. En Belgique ? On hausse les épaules et l’on prend une bière.

C’est pourtant énorme. Les hommes politiques de premier plan qui ont évoqué ce projet appartiennent à la N-VA, un parti qui conserve dans ses statuts l’objectif de créer une république flamande indépendante. Bart De Wever le disait encore peu de temps avant de devenir Premier ministre : “Wat we zelf doen, doen we beter”. Et le voilà qui rêve désormais de faire du Benelux un seul pays qui deviendrait, il est vrai, un des cinq grands de l’Union européenne, avec un PIB compris entre celui de l’Espagne et celui de l’Italie.

Alors oui, sur le papier, ça claque bien : le Benelux pèserait en termes économiques ; il serait un géant commercial avec les ports d’Anvers et de Rotterdam ; il serait un important hub financier avec le Luxembourg et la puissance des institutions financières des trois pays ; il serait un des pays les plus high-tech d’Europe en mêlant imec, ASML, Adyen, Besi… Et il deviendrait instantanément un des gros bras de l’Union européenne.

Les Pays-Bas ont des défauts, mais ils ont des entreprises plus grandes que les nôtres, des finances publiques en ordre, une politique d’immigration et d’inclusion efficace. Face à eux, la Belgique est un pays lui aussi riche (du moins en Flandre), mais qui ne fonctionne plus vraiment, avec une justice en quasi-faillite, une Région bruxelloise en shutdown depuis plus de 500 jours et un gouvernement fédéral en crise, impuissant à accoucher des réformes nécessaires au redressement des finances publiques. Et pour ceux qui voudraient, côté Vlaams Belang, favoriser uniquement une fusion entre la Flandre et les Pays-Bas, une récente étude de la Banque nationale sur les flux entre Régions montre que les économies régionales sont bien plus intriquées que les nationalistes flamands le voudraient.

Cessons de rêver. Il n’y a pas de majorité dans la population belge pour embrasser ce projet, et selon un sondage récent, 70% des Néerlandais répondent “nee bedankt” à l’idée d’avaler la Flandre (on ne parle même pas de la Wallonie ou du statut de Bruxelles). Quant aux Luxembourgeois, ils rient doucement en regardant notre incapacité à faire passer notre déficit public sous les 5%.

“On a beau être Belge et donc ne plus s’étonner de rien, il y a encore des moments où l’on reste bouche bée.”

Le plus intéressant, cependant, est ce que ce fantasme politique énoncé par les patrons des exécutifs fédéral et flamand dit de nous-mêmes. Car ce rêve souligne nos peurs et nos incapacités. Matthias Diependaele explique que s’il se déclare en faveur d’une union renforcée du Benelux, c’est en raison de l’état du monde. “Quand on observe les bouleversements géopolitiques actuels, la manière dont les États-Unis envisagent désormais le libre-échange, la position de la Chine ou encore la menace venant de la Russie, il est clair que nous devons repenser nos alliances.” Pourtant, sur ces sujets géopolitiques, l’alliance compétente est l’Union européenne.

Ce projet Benelux dit en réalité autre chose que la peur de la Russie ou de la guerre commerciale. Il dit notre incapacité à aborder sereinement les défis qui nous font face : le vieillissement, le climat, les dépenses de sécurité. Certains, dès lors, cherchent à s’accrocher aux basques d’un grand frère néerlandais qui aurait mieux réussi à régler ces problèmes. La Belgique ne croirait-elle plus assez en elle-même pour se sauver toute seule ?

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