Dans Wall Street, le film culte de 1987, l’acteur Michael Douglas incarnait Gordon Gekko, symbole d’une époque où la cupidité était une vertu et la finance un sport de combat.
Quarante ans plus tard, la morale n’a pas triomphé. C’est la technologie qui a pris le pouvoir. Et cette fois, la menace ne vient pas d’un trader sans scrupule, mais d’une intelligence artificielle entraînée par… d’anciens banquiers d’affaires eux-mêmes. Bloomberg a révélé qu’OpenAI, la maison-mère de ChatGPT, avait recruté plus de cent ex-banquiers de Goldman Sachs, JPMorgan et Morgan Stanley pour former une IA baptisée Project Mercury.
La mission de ces ex-banquiers ? Apprendre à la machine à exécuter les tâches que les jeunes banquiers d’affaires mettaient des années à maîtriser : à savoir les modèles Excel, les calculs de valorisation, les présentations d’investissement.
Ces banquiers retraités sont payés 150 dollars de l’heure pour transmettre à la machine ce qui faisait jadis la valeur d’un junior. En clair : ils codent la fin de leur métier. Pour les banques, la tentation sera irrésistible à court terme : une IA qui travaille jour et nuit, sans erreur ni salaire fixe, capable de produire en minutes des analyses qu’un humain livrait en jours, c’est le rêve, non ?
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Mais cette efficacité ou ce rêve a un prix : elle détruit la filière de formation qui fabriquait les futurs associés, directeurs et partenaires. Les analystes étaient des apprentis. L’IA les transforme en simples superviseurs. Or, dans un monde sans apprentis, il n’y a plus de maîtres. Et donc le rêve des seniors devient le cauchemar des juniors. Bien sûr, ce que fait OpenAI à Wall Street, d’autres le font déjà dans le conseil, l’audit ou le juridique : automatiser les tâches d’entrée pour gagner en vitesse. Mais la vitesse sans transmission de savoir crée un système brillant… mais creux.
Une économie où l’expertise se dissout, où la mémoire du métier s’efface au profit de l’automatisation. Et où les dirigeants devront apprendre à gérer non plus des équipes en chair et en os, mais des modèles d’IA entraînés sur la connaissance de ceux qu’ils ont remplacés.
L’ironie ultime de cette histoire ? Les grandes banques risquent d’être disruptées par ce Project Mercury alors qu’elles figurant directement ou indirectement aussi parmi les investisseurs qui ont financé OpenAI ou ses partenaires. Autrement dit : les banques américaines ont payé pour concevoir la machine qui finira par rogner leur propre business model.
Gordon Gekko, lui, aurait adoré : dans son monde, tout a un prix même l’arme du crime économique. La boucle est bouclée : l’IA ne remplacera pas les banquiers tout de suite…. mais elle a déjà appris à encaisser leur bonus sans dormir.