Paul Vacca
Voici venu le temps du tennisporn
Saviez-vous que le tennis était un sport parfaitement sécable (le point) et adapté à notre économie de l’attention?
Pour qui aime regarder le tennis, c’est indéniablement une époque bénie. Il nous est possible de suivre toutes les compétitions de haut niveau du monde entier. Toute l’année et pas seulement lors des quatre grands chelems (Roland-Garros, Wimbledon, l’US Open et l’Open d’Australie) mais aussi les Masters, les tournois ATP 1000, 500 ou 250. Qui plus est, sans perdre trop de temps et gratuitement. Tout cela, grâce au miracle des highlights, ces montages vidéo de quelques minutes offrant des extraits de matchs et le meilleur des échanges du circuit, disponibles notamment sur YouTube.
L’amateur de balle jaune retrouve ainsi, au fil des nombreux tournois et des saisons, la crème de la crème du tennis. La Baby Gen (Alcaraz, Sinner, Rune, etc. A peine 20 ans de moyenne), la Next Gen (Medvedev, Zverev, Tsitsipas, etc.) et ce qui reste du Big 3 mythique (Djokovic et Nadal). Une épopée expurgée de tous les déchets (oui, il en existe même chez les champions) ou des baisses de régime ainsi que des arrêts de jeu, car au tennis, le temps réel de jeu (variant selon les surfaces) est en moyenne de 10 minutes par heure.
Le tennis est un sport parfaitement calibré à une mise en highlights sur internet grâce à son unité de jeu parfaitement sécable (le point) et parfaitement adapté à notre économie de l’attention. Une forme de revanche prise sur d’autres sports (au premier chef, le football évidemment) plus naturellement fédérateurs et générateurs de fortes audiences sur le média roi qu’est la télévision. A travers la focale étroite des highlights, le tennis change de nature : il devient pur spectacle joué par des mutants défiant les lois de la physique.
Un peu comme les super-héros au cinéma mais sans fond vert pour les effets spéciaux. Un spectacle pure capsule d’énergie pour l’internaute qui peut se faire des shots (pris dans ses différentes acceptions) quasi quotidiens d’aces, passing-shots, tweeners, rallyes titanesques et amorties en apesanteur aussi addictifs que les hooks musicaux que l’on se repasse en boucle.
Notre mode de consommation de ce sport s’en trouve aussi transformé : de la tennismania de l’amateur de sport, on passe au tennisporn (comme on parle de foodporn). En effet, la boulimie n’est jamais loin puisqu’on peut visionner en seulement quelques minutes le résumé de quatre ou cinq matchs. Et ce que la focale étroite des highlights nous fait gagner en visibilité sur ce sport, nous le perdons en lisibilité.
Car ces best of sont truffés de points aveugles. Ce qu’une bande-annonce est à un film : une réduction nécessairement déformée. Ils font fatalement l’impasse sur la dramaturgie du match, ses arches narratives qui se déploient dans le temps. Et dont les baisses de régime font partie. Paradoxalement, en ne gardant que le meilleur, les highlights produisent l’impression que tout est facile et que l’enjeu se réduit à un simple empilement mécanique de coups gagnants.
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A l’opposé, Netflix ,avec la série documentaire Break Point, s’est attaché à élargir la focale à tous les enjeux de la vie du circuit à travers une sélection de jeunes pousses du tennis : la pression médiatique, la gestion du physique, la rigueur des entraînements, l’isolement et les jet-lags dans les hôtels… Mais peut-être n’y aura-t-il pas de nouveau numéro à cause de ce qui a été appelé la malédiction Netflix (#netflixcurse) : les espoirs sélectionnés ayant presque tous eu la malchance de perdre dès les premiers matchs après la diffusion du docu.
C’est le destin numérique de l’amateur de tennis d’être balloté, comme une balle jaune, entre le gros plan des highlights et le grand angle des docudrames. Alors qu’au milieu se déroule le vrai match.
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