Paul Vacca
Veni, vidi, vinyle
Plus que centenaire, le disque vinyle a déjà été enterré à plusieurs reprises. Lors de l’apparition d’un support plus mobile et enregistrable (la cassette), puis avec celle d’une galette plus compacte aux reflets iridescents et au son plus pur (le CD), puis encore sous la vague de données numériques de l’époque peer to peer (Napster) et, enfin, enseveli sous l’offre pléthorique de chansons à portée de clic que les plateformes (comme Spotify) proposent pour le prix d’un seul disque par mois. Peu à peu, le vinyle s’est vu submergé, voué à une mort certaine.
Mais alors qu’il fut décrété par certains en mort clinique en 2007 (le creux de la vague), le disque vinyle s’est réveillé. D’abord timidement au point que certains ont pensé que ce ne serait qu’un feu de paille, un simple attachement nostalgique de ceux qui l’avaient connu dans leur jeunesse. Mais il revient bel et bien et son retour de forme entame même sa deuxième décennie. Veni, vidi, vinyle.
Aujourd’hui, le vinyle est (re)venu, a vu et a vaincu : il a repris la tête des supports de ventes physiques : 43,5 millions ont été vendus aux Etats-Unis en 2022 alors que le CD est descendu à 35 millions. Un marché évalué à 1,7 milliard de dollars en 2022 et qui devrait atteindre, selon certaines projections, les 28 milliards. Et ce retour n’est pas le fait d’une tranche d’âge particulière : les 25-34 ans achètent autant de vinyles que les plus de 55.
Donc, ce n’est pas un simple retour de flamme mais une véritable renaissance. Et même une transfiguration. Car le vinyle, tout comme nous les êtres humains, ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Et de fait, le vinyle réapparaît comme une toute nouvelle expérience. Dans sa première vie, il constituait la seule voie d’accès à la musique ; maintenant, dans notre économie de l’attention et nos horizons numérisés, il s’affirme comme un choix : le refus de laisser la musique se dissoudre dans l’immatériel numérique. Choisir la déconnexion pour rétablir une véritable connexion physique avec ses artistes. Une forme de transsubstantiation. Soit par une expérience immersive musicale hors du flux du streaming. Soit comme une relique que l’on affiche dans sa chambre ou son salon à l’égal un poster ou un tee-shirt qui d’ailleurs existe en différents coloris et modèles : car on a pu noter qu’aux Etats-Unis, par exemple, la moitié des acheteurs de vinyles ne possèdent pas de platine.
Mais ce regain de forme n’est pas tout à fait idyllique : comme toute gloire, il a sa rançon. Comme le note The Economist le problème avec ce retour en grâce est que l’économie physique du vinyle s’est mise à ressembler à celle du streaming où dominent les mêmes stars des ventes Taylor Swift, Harry Styles ou Olivia Rodrigo… Mais cela ne poserait pas de problème si le vinyle, contrairement au streaming, n’était limité par les capacités de production des usines de pressage. La demande a été estimée à 400 millions alors que les usines ne peuvent en fournir au mieux que 160 millions. Et pour les artistes qui n’ont pas la surface de Taylor ou d’Harry, le délai de quatre à six semaines en 2018 est passé à cinq mois voire un an pour obtenir ses copies.
Lors de sa première vie, les succès des grands artistes en vinyle pouvaient avoir un effet d’entraînement sur les autres. Plus de ventes pour les premiers, c’était un marché plus vaste pour tous. Beatles et Rolling Stones ont transporté un tas de groupe dans leur sillage. Aujourd’hui, c’est un jeu à somme nulle : lorsque les grands gagnent, les petits perdent. Alors certes, le vinyle est (re)venu, il a vu, il a vaincu. Mais pas pour tous. Il nous vient à l’esprit une autre citation latine : Vae victis, malheur aux vaincus. z
Pour les artistes qui n’ont pas la surface de Taylor Swift, le délai de quatre à six semaines en 2018 est passé à cinq mois voire un an pour obtenir ses copies.
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