Une chronique d’Amid Faljaoui.
On parle beaucoup d’IA, mais parfois on oublie ce qu’elle change vraiment. Un bon exemple, c’est ce que vient de faire De Standaard, il y a quelques jours. Le quotidien flamand a lancé “De Standaard en français”.
Chaque jour, quelques articles sont traduits du néerlandais vers le français, ils sont mis en ligne et envoyés par email. Avec trois mois gratuits pour tester. Sur le plan stratégique, c’est plutôt malin.
Pourquoi ? Parce que produire un journal coûte cher. Mais traduire des articles déjà écrits, aujourd’hui, grâce à l’IA, coûte beaucoup moins cher qu’avant. Donc on peut tenter un nouveau public sans reconstruire toute une rédaction.
Et ce public existe. Des francophones à Bruxelles, dans les entreprises, dans les cabinets, dans les institutions européennes, qui ont besoin de comprendre comment la Flandre lit l’économie, la politique, les grands dossiers du pays. Là-dessus, l’offre est cohérente. Mais le projet ne se jouera pas sur la qualité de la traduction. Il se jouera sur un geste très concret : est-ce que les gens vont revenir ?
Est-ce que ce mail va être ouvert régulièrement ? Est-ce que ça va devenir un petit rituel, comme lire un briefing avant une réunion ou pendant un trajet en train ? C’est ça, le vrai enjeu business. Parce que trois mois gratuits, c’est facile. Ce qui est difficile, c’est de faire payer ensuite. Et payer pour un journal flamand traduit, ce n’est pas encore un réflexe côté francophone. Autre point clé : ce produit ne peut pas viser tout le monde. Il doit parler à des profils précis.
Des gens pour qui l’information n’est pas un loisir, mais un outil de travail. Cadres, dirigeants, décideurs publics, consultants. Sans cette cible claire, la conversion sera compliquée. Il faut aussi être lucide sur ce que ce produit n’est pas.
Ce n’est pas un média de proximité. Il ne remplacera pas les journaux francophones qui suivent le terrain, les entreprises locales, les dossiers régionaux. C’est un complément, une autre grille de lecture. Au fond, De Standaard en français, c’est un test grandeur nature. Un test pour voir si l’IA permet vraiment de créer de nouveaux usages… ou seulement de produire plus vite.
S’ils réussissent à créer un vrai rendez-vous, ils auront créé un actif rare en Belgique. S’ils échouent, ce que je ne leur souhaite pas bien entendu, ce sera resté une bonne idée, bien pensée, mais sans moteur économique.
Et cette nouvelle idée se résume à une question très simple : est-ce que ce contenu en français devient un outil indispensable… ou est-ce juste un email de plus qu’on finit par ne plus ouvrir ?