Eddy Caekelberghs

Un front, mais lequel en France?

Eddy Caekelberghs Journaliste à La Première (RTBF)

Front populaire ? Front national ? Front républicain ? La France fait front de tous bois ! Une Macronie qui restera dans l’histoire comme ce mouvement du “ni,ni” et du “en même temps”, incapable de choisir, voire de proposer. Concentrant à l’Elysée toutes les tensions, plus encore qu’un Nicolas Sarkozy, hyperprésident pourtant ­clivant. François Mitterrand avait fait émerger Jean-Marie Le Pen en forçant la proportionnelle dans les jambes de ses adversaires de droite. Chirac avait (avec Juppé) raté sa dissolution. Macron (sans Attal) a dilapidé la sienne. Sans horizon. Sans perspectives. Sans analyse. Sans sens politique.

Quoi qu’il en soit, l’extrême droite a doublé son score en deux ans. Et la participation historique (près de 67% de votants !) renforce le constat : la France a basculé dans l’illibéralisme. Marianne n’a plus qu’une tunique déchirée. Dépoitraillée, en tendant le drapeau républicain, elle chavire entre deux extrémismes délétères. Qui, bien entendu, ne sont pas porteurs des mêmes radicalités. Mais au racisme de l’un répond l’antisémitisme de l’autre…

Quand une France insoumise est incapable de hurler sa rage, sa peine et sa compassion pour une gamine de 13 ans violée parce que juive au nom de milliers d’enfants palestiniens martyrisés. Quand cette “insoumise” n’a que l’invective à la bouche pour essentialiser les Juifs au nom d’un sionisme qui fait partie de sa propre histoire. Quand à l’autre extrême, un leader menteur raille Jean Moulin, ment sur ses origines géographiques et sociales; quand sur les cendres du centre républicain ou macronien on invoque dans un dernier râle le spectre de Staline ou d’Hitler, les temps sont définitivement clos de l’espoir démocratique.

Au racisme de l’un répond ­l’antisémitisme de l’autre.

La France de Simone Veil, de Robert Badinter, de Jean Moulin, de Missak et Mélinée Manouchian est vaincue. Quoi qu’il arrive. Parce que l’expression populaire massive a choisi le repli national, la préférence du sang, l’assignation de “l’autre”, étranger ou différent. Parce que la France – en Europe – ne peut plus être à cette heure un exemple. Et qu’aux côtés d’une Allemagne plus faible et plus solitaire que jamais dans ses stratégies, c’est toute l’Union qui bafouille. Viktor Orban veut un nouveau groupe politique au Parlement européen. Ouf!, serait-on tenté de dire. Il fractionnera un peu plus cette extrême illibéralisme qui fleurit.

Mais tout cela a un parfum de fin des années 1920. Ce moment où une jeunesse laminée par les horreurs de la guerre mondiale, par les gaz moutarde, par les gueules cassées et les vies saccagées, voulait du passé faire table rase. Soit par la voie bolchevique, communiste marxiste-léniniste, rapidement totalitaire. Soit par la voie des “révolutions nationales”. Rapidement fascistes.

En Italie qui fit rapidement des émules dans nos élites européennes avant que les outrances nazies ne radicalisent les postures. Une Italie impérialiste, littéralement, tentée par l’aventure d’Abyssinie. En Italie, en Allemagne, en d’autres endroits où les réponses aux crises sociales et identitaires furent mortifères.

Quoi qu’il se passe, majorité absolue ou non, le tandem Bardella-Le Pen a gagné la bataille des esprits. Ils dictent l’ordre du jour. Jupiter devrait relire le mythe d’Ouranos qui enfanta avec Gaïa les Titans, les Cyclopes et les géants hideux. Lui qui ne les laissait pas monter de la terre à la lumière et y prenait plaisir, a engendré le complot de Gaïa et Cronos (son fils, roi des Titans) qui émascula Ouranos. Libérant ainsi le temps et ses créatures. L’Olympe aujourd’hui tutoie les forces du chaos ! Une marée noire …

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