Bruno Colmant
Trump: le miroir impitoyable de l’immobilisme européen
Le capitalisme suscite des sentiments ambivalents, et même antagonistes. En effet, un système capitaliste risque de suffoquer sous ses propres excès puisqu’il ne connaît aucune régulation, sinon l’expression du prix formé par les lois de l’offre et de la demande.
Il favorise même l’emprunt de toutes les ressources pour satisfaire un bien-être narcissique immédiat. Les réalités sociales ne sont donc pas appréciées à l’aune d’un ordre moral, mais plutôt sous la contrainte de la soumission aux oppositions entre les facteurs de production, c’est-à-dire le travail, le capital et, de façon insuffisante, la nature. Le capitalisme attire par sa capacité à générer le progrès et à démultiplier la richesse, même au-delà des frontières. Dénué de mémoire, il ne s’accommode que de valeurs financières et de sciences exactes. Il ne tolère pas l’immobilisme et se révèle aussi volatile que les cours de bourse qu’il anime.
Incidemment, c’est pour cette raison que le capitalisme exige une régulation étatique. Le capitalisme fonctionne lorsque le marché et la règle de droit sont l’avers et le revers de la même réalité. Normalement, le marché et la démocratie se renforcent mutuellement, car ils sont fondés sur un même postulat : la nécessité de liberté individuelle. Mais si l’efficacité économique du capitalisme n’est plus à prouver, la répartition sociale de ses bienfaits exige des pouvoirs politiques adéquats.
Ceci étant, l’Europe a tiré un grand profit de ce capitalisme. Pour les pays non occidentaux, la mondialisation a pris des allures de nouvelle forme de colonisation. Parallèlement, l’Occident s’est « financiarisé », trouvant sa prospérité dans un enrichissement financier déconnecté de l’apport du travail. Cela a évidemment contribué à notre désindustrialisation, bien que, sans cette dernière, de nombreux pays d’Europe de l’Est et d’Asie n’auraient pas pu prospérer. Nous avons troqué notre bien-être social contre un travail sous-payé ailleurs. En parallèle, nous avons cherché à dépolluer nos économies en transférant, de manière horizontale, le poids écologique vers les pays dont nous importons les biens.
Et maintenant, il y a Trump, avec un nouvel ordre mondial d’une envergure comparable, sinon supérieure, à l’avènement de l’ère Reagan en 1981. Ce que propose Trump est intéressant : il cherche à réindustrialiser les États-Unis, au détriment des pays dont ils importent les biens. Cela s’appelle du protectionnisme. Bien que la majorité des économistes s’accordent à dire qu’il entraîne, à moyen terme, une moindre croissance globale, ce modèle peut néanmoins contribuer à rétablir les « termes de l’échange ». Les États-Unis tentent ainsi de se protéger d’une mondialisation qu’ils ont eux-mêmes promue, mais dont ils se perçoivent, à tort ou à raison, comme les victimes.
C’est un message très important qui devrait nous inciter à réfléchir au modèle européen, lequel semble aujourd’hui illisible, même à nos propres yeux.
Et ce qui se passe, c’est que Trump va immanquablement nous confronter à cette situation singulière : une économie accablée de réglementations et de poids administratifs qui découragent le travail et la prise de risque du capital, dans une logique qu’il faut évidemment exiger solidaire.
Tout d’un coup, l’Europe, qui se désindustrialise sous le contrôle paternaliste d’une Union européenne qui s’assimile elle-même à une Olympie technocratique, devient véritablement un vieux continent.
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