Amid Faljaoui
TikTok, l’arme de distraction massive interdite pour de mauvaises raisons
C’est fait: la Belgique a rejoint aussi d’autres pays dans la lutte contre TikTok. Alexander De Croo, notre premier ministre, a annoncé l’interdiction pour six mois de l’usage de l’application TikTok sur des téléphones de fonction, fournis par l’Etat fédéral.
Ce qui m’intéresse dans cette interdiction, c’est qu’elle se focalise surtout sur des risques d’espionnage, de propagande ou sur d’éventuels liens avec Pékin. En réalité, tout cela est possible, mais le vrai danger, il est, je le crois modestement, ailleurs. Il est dans la manière dont TikTok, et aussi les autres réseaux sociaux (pourtant, bien américains ceux-là) sont en train de décérébrer notre jeunesse occidentale.
Michel Desmurget, docteur en neurosciences, chercheur au CNRS et auteur du livre « La fabrique du crétin digital », ne cesse de répéter que les réseaux sociaux ont des effets négatifs indirects, en prenant du temps sur d’autres activités, comme le sommeil ou la lecture. Interrogé par Le Figaro sur le fait de savoir s’il fallait brider TikTok comme l’a fait le gouvernement chinois pour sa propre jeunesse, Michel Desmurget raconte qu’on a demandé à un officier chinois pourquoi ils limitaient le temps d’usage des jeux vidéo et des réseaux sociaux en Chine, alors que cela risque de tuer un secteur technologique important pour la Chine ? Et cet officier chinois a répondu spontanément : « ces enfants sont l’avenir de notre nation ». Difficile d’être plus clair en termes de priorité.
Mais en réalité, comme l’écrit Scott Galloway, professeur à la New York University et l’un des meilleurs spécialistes mondiaux du marketing, « nous ne nous rendons pas compte que TikTok, mais aussi les autres réseaux sociaux sont des machines extrêmement polluantes ». Non pas avec des émissions de CO2, mais avec d’autres pollutions, plus cachées. De fait, ces réseaux asociaux vivent de notre attention. D’ailleurs, regardons les faits : ce sont aujourd’hui des armes de distraction massive de notre attention.
Scott Galloway s’est amusé à réaliser un petit calcul très explicite. Aujourd’hui, notre attention génère plus de profit que la vente de pétrole ! Autrement dit, convertir notre attention en profit (si, si, c’est possible) est devenue la meilleure façon de gagner de l’argent en ce bas monde. La preuve ? Entre 2002 et 2022, Google a généré plus de 1.000 milliards de dollars de revenus publicitaires. Amazon, le plus grand détaillant au niveau mondial a aussi gagné 38 milliards de dollars par an en vendant des publicités. Si on prend le pétrolier américain Chevron, cette société a enregistré en 2022 une année historique en termes de profits, grâce à la hausse du pétrole. Merci l’Ukraine ! De son côté, Google qui a eu – au contraire – une mauvaise année 2022 a pourtant réalisé le… double des bénéfices de Chevron. C’est dire que le business de l’attention (notre attention) vaut plus que du pétrole en période de crise.
Mieux encore : si on regarde, comme l’a fait Scott Galloway, la liste des 10 entreprises les plus florissantes aux États-Unis en 1980. C’est simple 7 des 10 premières entreprises étaient des entreprises pétrolières. J’ai écrit à dessein « étaient », car la même liste aujourd’hui est différente. En effet, les 7 entreprises les plus florissantes sur les 10 premières sont Apple, Microsoft, Google ou Amazon. Bref, des entreprises qui raffinent notre attention comme d’autres raffinent le pétrole pour la transformer en dollars sonnants et trébuchants, selon Scott Galloway.
Le grand souci de ces réseaux sociaux, dont le modèle est basé sur la gratuité, donc sur la vente de nos données, c’est que pour nous garder scotchés à nos écrans, ces réseaux sociaux (et pas seulement TikTok) nous poussent vers du contenu qui nous met une partie du temps en colère ou nous enferme dans des identités tribales de plus en plus étroites. C’est en soi un immense souci, car cette « pollution des esprits » n’est pas sans conséquence. Motif ? Les grands problèmes planétaires que sont le changement climatique, les relations tendues entre la Chine et les États-Unis ou les pandémies nécessitent d’avoir des citoyens capables de dialoguer et de développer un consensus sur les solutions et les actions à mettre en place. Mais comment obtenir ce consensus lorsque notre attention est kidnappée et qu’elle est détournée pour nous conditionner à être en rage permanente ?
Scott Galloway rappelle que sur Twitter, les mensonges se répandent 6 fois plus vite que la vérité. L’ingénieur de Twitter le regrette après coup. Et comme il l’a dit : « nous venons peut-être de remettre une arme chargée à un enfant de 4 ans ».
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