En 1979, les Buggles sortent le single intitulé Video Killed the Radio Star, une chanson empreinte de nostalgie en hommage à une époque où les chanteurs étaient des voix intimes qui filtraient à travers le poste de radio et non une marchandise empaquetée dans un clip vidéo aux effets visuels surproduits. Ironiquement, cette chanson devint le premier clip diffusé sur la chaîne musicale MTV le 1er août 1981, jour du lancement du grand robinet à clips international.
Avec l’explosion de MTV, le vidéo-clip s’imposera comme le support promotionnel musical par excellence. Hors du clip, point de salut. Toutes les stars de la musique deviendront de fait des video stars – de Michael Jackson à Mylène Farmer, de Madonna à Peter Gabriel ou David Bowie… – s’investissant dans ce nouveau format leur permettant de contrôler le spectre total de leur persona artistique, de la musique à l’image.
Ainsi, le clip trouvera-t-il sa place quelque part au confluent de la musique, de la publicité, du cinéma et de la danse, comme une nouvelle forme d’expression artistique et marketing en prolongement de l’activité discographique des artistes. Avec Thriller de Michael Jackson, réalisé en 1983 par John Landis d’une durée de 14 minutes, comme Everest du genre. Toute une génération de réalisateurs fit ses premières armes grâce au clip comme Michel Gondry, Chris Cunningham, Spike Jonze ou David Fincher.
Les codes esthétiques du clip – cadrages stylisés, montages frénétiques, ralentis ou images saturées – infuseront en retour des films ou séries comme Miami Vice de Michael Mann, Top Gun de Tony Scott, les comédies musicales comme Flashdance ou plus récemment Euphoria ou Skins. Avec internet, le clip trouvera un nouveau souffle grâce à YouTube, à la fois comme rampe de lancement des nouveaux artistes et comme bibliothèque pour les anciennes gloires.
Paradoxalement, c’est un nouveau format vidéo qui va être le fossoyeur du clip : TikTok. Avec la plateforme chinoise, un format de 3 à 5 minutes – sans parler de 14 ! – est devenu beaucoup trop long et totalement indigeste pour l’algorithme qui ne métabolise bien que les vidéos de 15 secondes dans ses tuyaux. La construction de plans narratifs même furibonds doit céder la place à des hooks visuels bien plus efficaces pour accrocher le chaland numérique et le happer dans son scrolling frénétique. Idem, le format horizontal du clip traditionnel qui lorgnait le cinéma n’est plus soluble dans le flot de TikTok qui lui préfère le format étriqué vertical sans profondeur, mais plus adapté au ruissellement des contenus.
Quelques pas de danse ou un simple effet visuel peuvent devenir des templates sur lesquels les fans alignent leurs contenus.
Pas étonnant, dès lors, que les majors et les labels préfèrent réaffecter le budget autrefois dédié au clip à des partenariats avec des influenceurs : mieux vaut désormais 50 stories Instagram, plutôt qu’un clip coûteux. D’autant que quelques pas de danse ou un simple effet visuel peuvent devenir des templates sur lesquels les fans alignent leurs contenus : pourquoi faire appel aux géniaux clippers Bertrand Mandico ou Anton Corbijn quand de banales chorégraphies exécutées par les fans deviennent virales et cassent TikTok ? Ainsi, le meilleur réalisateur pourrait être aujourd’hui l’User Generated Content (UGC), c’est-à-dire le contenu créé et partagé par les fans et non par les artistes eux-mêmes.
Même si certains artistes savent encore rester de véritables vidéo stars en contrôle artistique comme Billie Eilish, Rosalía, Taylor Swift (avec un clip cinématique de 10 minutes), ou Beyoncé et Kendrick Lamar avec leurs visual albums pharaoniques, l’heure est peut-être à la scroll star, ballottée par les flux du streaming et de TikTok. Avec l’algorithme dans le rôle de la star capricieuse ?