Paul Vacca
Sujets mythifiants non isolés
Se plonger dans l’histoire des ovnis, ce n’est pas tant s’intéresser aux extraterrestres qu’à notre façon terrestre de les envisager.
L’ouvrage Une histoire illustrée des ovnis d’Adam Allsuch Boardman, publié aux éditions de La Martinière, ravira évidemment tous ceux qui se passionnent pour les récits d’objets volants non identifiés” et autres “visiteurs de l’espace”.
Ce guide joliment illustré et érudit relate les épisodes d’une saga qui a débuté dans les années 1930-1940: celle de chercheurs à l’affût de témoignages concernant des phénomènes mystérieux, qu’il s’agisse d’étranges lumières dans le ciel, de traces dans les champs de céréales, de soucoupes volantes, de petits hommes verts ou gris, voire d’enlèvements dans d’improbables rencontres du troisième type. Une galerie haute en couleur de doux rêveurs, de scientifiques rigoureux, de militaires, d’illuminés, d’escrocs, de faussaires ou de dangereux paranoïaques propagateurs de théories complotistes…
Cet ouvrage est à même d’intéresser les esprits plus rationnels, car ceux-ci y découvriront comment de telles créations de l’esprit ont pu voir le jour.
Boardman, qui est à la fois auteur et illustrateur, parvient à capter à merveille cette imagerie de l’étrange qui nimbe tous ces récits dans un splendide traitement “ligne claire” rendant hommage à cette esthétique rétrofuturiste, syncrétisme savoureux de poésie naïve et de sophistication technologique.
Mais au-delà, cet ouvrage est à même d’intéresser les esprits plus rationnels, car ceux-ci y découvriront comment de telles créations de l’esprit ont pu voir le jour. Une histoire illustrée des ovnis, en racontant la genèse et le contexte historique de ces témoignages, montre en quoi ces épiphanies sont des productions collectives, et même des narrations collaboratives, entretenant de forts rapports de consanguinité avec les récits de science-fiction.
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Car les témoignages recueillis, parfois sous hypnose, se révèlent souvent de pâles réminiscences d’un épisode d’Au-delà du réel ou de La Quatrième Dimension. Tout comme, réciproquement, les œuvres de fictions fantastiques de cet âge d’or de la science-fiction s’inspirent en retour des différents témoignages. Ainsi s’élabore, par un effet de fertilisation croisée, tout un champ mythologique situé à la frontière du réel et de la fiction.
Les esprits plus rationnels découvriront aussi que, paradoxalement, c’est cette science elle-même qui a involontairement renforcé cet imaginaire délirant. Car face aux témoignages toujours plus nombreux, le gouvernement américain décida de réagir pour couper court aux rumeurs et autres élucubrations. Ainsi, en 1948, l’armée de l’air fut chargée d’enquêter pour démêler le vrai du faux. Sans surprise, le rapport conclut que ces apparitions étaient des phénomènes naturels (nuages lenticulaires, gaz des marais, étoiles filantes, aurores boréales, etc.) ou explicables (missiles, ballons sondes, drones, etc.) indûment identifiés comme “extraterrestres”.
Traiter des ovnis, c’est finalement redécouvrir notre nature de “smnis”, de sujets mythifiants non isolés.
Mais cette approche scientifique, tout empreinte de rationalité qu’elle fût, eut un effet pervers. Le lexique scientifique forgé (c’est à l’époque que le terme “UFO” pour unidentified flying objects a été produit) pour décrire de tels phénomènes revenait paradoxalement à en accréditer l’existence. Il fut même repris à leur compte par tous les amateurs d’ovnis. Et quand en 1953, l’armée lança une campagne active de démystification, cela produisit l’inverse de l’effet recherché: le gouvernement fut accusé cette fois-ci de vouloir cacher la “vérité”. Car comme on le sait, la vérité est forcément ailleurs.
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Ainsi, cet ouvrage nous montre que se plonger dans l’histoire des ovnis – dans l’ufologie – ce n’est pas tant s’intéresser aux extraterrestres qu’à notre façon terrestre de les envisager. Traiter des ovnis, c’est finalement redécouvrir notre nature de “smnis”, de sujets mythifiants non isolés.
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