C’est une cascade que même Tom Cruise ne parviendrait pas à exécuter : entrer dans une boutique Hermès et ressortir avec un sac Birkin. Car la marque aime à dire que l’œuf de l’autruche dont sera fait votre sac n’est pas encore pondu au moment de votre commande. Il faut être riche et patient. Pourtant, pour une fois, un sac Birkin sera accessible immédiatement. Pour cela, il faudra juste attendre le 10 juillet 2025, jour où le prototype original créé pour Jane Birkin sera mis en vente aux enchères par Sotheby’s, à Paris. En revanche, le prix reste un mystère et aucune estimation publique n’a été annoncée.
Avant d’arriver dans la capitale française, le sac objet “unique, complètement à part de tous les autres sacs, même les Birkin” comme il est précisé chez Sotheby, sera exposé à New York. Une tournée comparable à celle qu’effectuent les œuvres d’art. Mais le sac en question ne possède-t-il pas une légende digne d’une œuvre artistique ? Comme Les Demoiselles d’Avignon, le tableau de Picasso né d’une rupture brutale avec la tradition académique après avoir vu des masques africains au musée du Trocadéro déclenchant au passage la révolution cubiste, le sac Birkin doit sa naissance à un moment pivot accidentel.
En 1984, Jane Birkin, alors jeune actrice du cinéma français, voyage en première classe sur un vol Air France entre Paris et Londres avec son célèbre panier en osier, usé jusqu’à la corde, laissant échapper couches, lunettes, cigarettes et cartes de visite. Elle se plaint à son voisin du manque de sacs pratiques et chic. Celui-ci n’est autre que Jean-Louis Dumas, PDG d’Hermès. Une conversation s’engage alors et ensemble, le temps d’un vol, ils griffonnent sur un sac à vomi l’idée d’un sac idéal, élégant mais pratique, spacieux mais chic : de cette esquisse naîtra le premier Birkin.
Comme toute œuvre d’art qui se respecte, il y a aussi la “muse” : Jane Birkin inspire Jean-Louis Dumas de la même manière que Fernande Olivier, les modèles africains ou les muses multiples de Picasso ont alimenté sa réinvention du corps féminin dans Les Demoiselles. Mais une muse qui prend la main. Car si Jean-Louis Dumas en a conçu la base, Jane Birkin l’a détourné, transformé, personnalisé au point d’en faire une œuvre hybride avec plusieurs caractéristiques uniques : une taille hors normes, des finitions en laiton, un zip intérieur provenant d’un autre fabricant, une bandoulière non amovible, et des clous de fond inédits.
Et même un geste d’appropriation artistique dans la tradition du collage dadaïste ou du pop art : le sac est encore orné d’un coupe-ongles et porte ses initiales, J.B., estampillées à l’intérieur. Fidèle à son image, l’actrice ne traitait pas ses sacs avec précaution : elle les recouvrait de stickers politiques et y suspendait des grigris, ce qui relève d’un geste artistique à part entière.
Œuvre d’art ou sac vintage ? Seul le prix de vente permettra de trancher l’affaire.
Et puis, comme les œuvres d’art, le prototype possède déjà un pedigree : en 1994, lors d’une vente caritative contre le sida, puis à nouveau en 2000, où il fut acquis par une acheteuse qui, après l’avoir conservé pendant 25 ans, a décidé de le remettre en circulation, marquée par l’engouement du public lors de son exposition à l’automne 2024 à Paris. Sans compter que le sac est devenu un symbole culturel à part entière faisant des collaborations dans les chansons de Damso, Booba ou Aya Nakamura ou dans des séries cultes comme Sex and the City avec le dialogue devenu culte sur YouTube : “It’s not a bag. It’s a Birkin !”. Alors œuvre d’art ou sac vintage ? Seul le prix de vente permettra de trancher l’affaire. Car l’œuvre d’art aussi se reconnaît souvent à son prix.