Eddy Caekelberghs

Mais qui a soutenu les Syriens?

Eddy Caekelberghs Journaliste à La Première (RTBF)

Rien ne vaut de scruter l’horizon avant de prédire le temps qu’il fera. Cette sagesse populaire vaut aussi pour les prédicteurs géopolitiques de tout poil qui s’avancent pour célébrer ou dénoncer hâtivement les évolutions du monde.

Voyons la Syrie. D’une part, il y a incontestablement (jusqu’à preuve matérielle du contraire) une révolution qui n’a mobilisé que des forces et intérêts internes. Tant il est vrai que depuis 2011 et les premiers soulèvements estudiantins, “printemps arabes” trop vite transformés en hivers hideux, rien ni personne n’est venu soutenir ce peuple assommé par la répression d’un régime barbare.

Oui, il y a eu de l’humanitaire quand c’était possible. Oui, des pays limitrophes comme le Liban ou la Jordanie ont absorbé à qui mieux mieux les réfugiés par dizaines de milliers au risque de leur propre déstabilisation. Et oui, la Turquie voisine du sultan Erdogan en a profité pour tenter de grappiller un Kurdistan qu’elle souhaite annexer, pour maîtriser les populations hostiles à Ankara. Oui, il y a eu la Russie et son groupe Wagner pour se dresser aux côtés du régime d’Assad et utiliser le pays comme champ expérimental pour ses bombes sales et les autres, hypersoniques. Mais qui a soutenu les Syriens ? Il y a eu (on le confirme aujourd’hui) des centaines de milliers de cadavres vivants (ou morts) emmurés dans des culs-de-basse-fosse du régime. Avilis, torturés, mutilés et affamés après avoir été gazés et bombardés par un régime aveugle et sourd. Et nous fûmes sourds aussi.

Où était cette “communauté internationale” que nous convoquons pour justifier nos lâchetés et nos conforts douillets à préserver ? Parce que de condamnations, il n’y en a eu que de timides. J’entends officielles. Où sont les mandats d’arrêts internationaux de la Cour pénale internationale contre les suppôts et dirigeants du régime syrien ? Dégainerions-nous ces mandats à géométrie variable ? Poser la question, c’est y répondre. Où étaient les cohortes des rues, ici et ailleurs, qui dénonçaient les exterminations, par le régime Assad et les sicaires d’Al Qaïda, de Palestiniens syriens, par dizaines de milliers, au camp de Yarmouk ? Où étaient ces capitales arabes et européennes pour dénoncer ces tendances “génocidaires” si promptement dégainées ailleurs ? Qui – à Ramallah ou Gaza ou chez nous – depuis 2011 pour dénoncer ce sort funeste de Palestiniens assassinés et de millions de Syriens maltraités ? Peu de monde en vérité… Assad, allié des Russes que l’on ne souhaitait ni fâcher ni provoquer pour notre confort, se baladait et se balade toujours en toute impunité jusqu’à sa fuite vers Moscou. Et quid de ces islamistes que l’on prévoit modérés ? Sauront-ils respecter tout le peuple ? Soutenir un régime laïque qui ne mettra pas en soumission les chrétiens ou les yézidis ? Quid des forces turques ou israéliennes qui vampirisent déjà le territoire au Kurdistan ou au Golan ?

Où était cette “communauté internationale” que nous convoquons pour justifier nos lâchetés et nos conforts douillets à préserver ?

Quid de notre volonté de jouer la chute de Téhéran sur les décombres de Damas ? Nous voudrions nous exprimer à la place du peuple syrien que nous n’avons pas aidé au nom de nos intérêts supérieurs ? Ceux de l’Occident et non ceux des droits fondamentaux ? Et l’on voudrait être respectés, remerciés peut-être, de notre silence long et lourd ?

Et si nous arrivions à comprendre et entendre ces Syriens qui nous crient “où étiez-vous ?”, nous nous libérons seuls, nous décidons seuls ! Rien ne vaut de scruter ses intentions avant de prédire l’avenir. En tout cas si l’on veut comprendre l’histoire en marche. 

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