Bruno Colmant

Rétablissement du service militaire: obligation ou illusion?

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

L’incident du 28 février entre Donald Trump, James Vance et Volodymyr Zelensky n’est finalement qu’une posture médiatique. Le véritable message est que les États-Unis se désengagent de l’Europe, et peut-être même de l’OTAN, renouant avec une tradition isolationniste qui les anime depuis plus d’un siècle et demi.

Soyons honnêtes : ils ne nous doivent rien. Même si nous avons bénéficié de leur protection militaire dans le cadre de la Pax Americana d’après-guerre, les temps ont changé. Le communisme n’est plus expansionniste, et les États-Unis considèrent désormais la guerre russo-ukrainienne comme un embarras. La nouvelle réalité est claire : nous avons un ennemi à l’Est et plus d’amis à l’Ouest. Certes, l’impérialisme russe est expansionniste et belliqueux, mais les prétentions, pour l’instant verbales à ce stade, des États-Unis sur le Groenland, le Canada et Panama relèvent aussi d’une tentative d’expansion territoriale.

Quoi qu’il en soit, les Européens ont été bien présomptueux en proclamant vouloir mener une guerre ukrainienne « jusqu’à la victoire », sans capacités militaires solides et en comptant sur une aide américaine qui leur est désormais soustraite. Les dirigeants européens devront se livrer à un exercice de transparence socratique et démocratique élémentaire, allant jusqu’à admettre leurs erreurs stratégiques face à leurs citoyens. Il était plus facile d’acclamer Volodymyr Zelensky au Festival de Cannes ou de parader en treillis militaire à Kiev sous les flashs des photographes, entourés de gardes du corps et douillettement logés, que de s’engager personnellement, que ce soit pour la guerre ou pour la paix.

L’Europe va donc devoir reconstruire ses capacités militaires, un processus de longue haleine, probablement d’une décennie, tant les points de convergence entre les États membres demeurent fragiles. Plusieurs questions cruciales émergent, dont une principale : faut-il restaurer un service militaire, obligatoire ou volontaire ?

Il se trouve que je suis, comme mon père et feu mon grand-père, officier de réserve. À l’époque, c’était une obligation civile et citoyenne qui s’inscrivait dans le cadre d’une adhésion, certes contrainte, aux valeurs du pays. Il était possible d’y échapper légalement par l’objection de conscience, ou par un travail de coopération à l’étranger.

Imaginons maintenant qu’on rétablisse un service militaire obligatoire, qui s’imposerait aux femmes comme aux hommes, dans un contexte adapté aux évolutions technologiques. L’idée est séduisante, mais elle risque de ne convaincre qu’une minorité de citoyens. La confiance envers les États a chuté, en grande partie faute d’un consentement patriotique. Or, le patriotisme repose sur un projet de société, et ce projet est aujourd’hui flou, faute d’être défini. De plus, le modèle économique – indissociable du patriotisme – privilégie l’individualisme et s’éloigne progressivement de la solidarité qui fonde le contrat social, donc la citoyenneté. La société est aussi plus fragmentée qu’auparavant, sous des angles financiers, raciaux, religieux et éthiques, avec la déliquescence de la classe moyenne, qui était le ciment social d’après-guerre.

Si la conscription semble difficilement envisageable, la solution passe par le renforcement d’une armée de métier. Il faut faire de l’armée une filière professionnelle reconnue, qui recrute, forme et engage ses membres dans un véritable projet patriotique. Nous serions loin, du moins en Belgique, des facilités permettant de devenir officier de réserve en quelques semaines (à mon époque, la formation durait cinq mois, suivie de huit mois de casernement). Cela nous ramène aux thèses défendues par Charles de Gaulle en 1934 dans Vers l’armée de métier. Il anticipait les guerres modernes en prônant une armée mobile et mécanisée. Son livre fut ignoré par l’état-major français, mais largement appliqué par l’ennemi, ce qui contribua à la défaite rapide de la France en 1940.

Par ailleurs, il faudrait envisager un service civil volontaire de plusieurs mois, astreignant et rémunéré, pour identifier, selon un calibrage précis, quelles tâches non militaires pourraient être confiées à des personnes prêtes à s’engager en cas de conflit. Notre histoire en offre un exemple : en 1939, les personnes trop âgées pour être mobilisées comme réservistes aptes au combat furent affectées à la défense civile.

Tout cela exigerait un débat citoyen approfondi, documenté et contradictoire. Les dirigeants européens ont été trop imprudents pour qu’on puisse se fier à quelques élans politiques.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content