Paul Vacca
“Que ferais-je à ma place?”: votre vie, mode d’emploi
Existe-t-il meilleur antidote qu’un livre qui a l’insolence de nous inviter à jouir de notre liberté par des questions? L’ouvrage “Que ferais-je à ma place?”, de Charly Delwart, s’y emploie.
Si l’on reconnaît un bon livre au fait qu’il vous amène à vous poser des questions sur votre vie, alors Que ferais-je à ma place? de Charly Delwart, sorti chez Flammarion pour cette rentrée littéraire, en est sans conteste un excellent. Car ce livre ne vous invite pas seulement à vous poser quelques questions sur votre vie comme le fait tout bon roman, il vous en soumet 70. Qui dit mieux?
Pour ce nouveau livre, l’écrivain et scénariste bruxellois a mis en place un dispositif narratif original. A la manière d’un Georges Perec qui disséquait la vie d’un immeuble (dans La Vie mode d’emploi) ou l’animation de la place Saint-Sulpice à Paris pendant trois jours (dans Tentative d’épuisement d’un lieu parisien), Charly Delwart propose de mettre en coupe réglée un autre terrain d’études: votre vie.
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Oui, car c’est vous, lecteur, qui êtes le héros de cet ouvrage. Alors que les livres nous demandent généralement de nous mettre dans la peau de quelqu’un d’autre via l’identification à des personnages réels ou de fiction, Charly Delwart préfère que nous nous identifions à nous-mêmes. Car il constate à raison qu’il est vain de préjuger de ce que nous ferions à la place d’un autre. Il est bien plus fécond de s’interroger sur ce que nous ferions à “notre” place. C’est-à-dire de nous pencher sur ce que nous envisageons de faire de la seule existence qui soit à notre portée, à savoir, la nôtre.
Un livre clin d’œil aux ouvrages de développement personnel.
Ainsi “Que ferais-je à ma place?” capture et déploie 70 questions qui sondent autant de situations existentielles: l’utilisation des émojis dans les SMS ; nos rapports à l’information, aux nouvelles technologies, aux autres ou à la psychanalyse ; une promesse faite à des parents pour après leur mort ; nos ambitions ; nos vicissitudes professionnelles, intimes, de couple ; nos TOC ou nos capacités de survie, etc. Des situations tour à tour anodines ou métaphysiques qui constituent le chaos routinier de nos existences.
En guise de réponses, Delwart propose, en clin d’œil aux ouvrages de développement personnel, quatre réponses possibles, des questionnaires à choix multiples présentés à la façon des matrices du Boston Consulting Group dont chaque lecteur pourra faire son miel. Chaque question donne lieu à des récits et des réflexions personnelles où l’auteur dynamite et poétise avec application toutes ces situations. Nous embarquons alors dans des tranches de vie où l’art de Charly Delwart révèle à merveille la part métaphysique tapie dans chaque situation anodine de notre quotidien. Il faut imaginer Sartre avec de l’humour.
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Et le résultat de cet existentialisme ludique est aussi jubilatoire que libératoire. Car contrairement aux ouvrages de développement personnel qui cherchent à nous programmer, ce livre nous apporte de la fraîcheur: il nous “défamiliarise” de notre quotidien (intime, interpersonnel, familial, professionnel) faisant de notre vie un nouveau terrain d’aventures ou un parc d’attractions. Traversé par le souffle des possibles et le vent frais des sérendipités, ce livre nous guérit par la même occasion de cette affection typique de l’époque: celle qui consiste à voir des déterminismes partout.
On ne compte plus les livres qui nous alertent sur les “tyrannies” comme réponses aux malaises du temps. De quoi générer une nouvelle section spécialisée en librairie: il y a la tyrannie du bien, du mérite, du divertissement, de la perfection, de la réalité, des algorithmes, du genre, de l’intimité, du paraître, du talent, de l’urgence, de la minorité… (liste non exhaustive des parutions). Alors, existe-t-il meilleur antidote qu’un livre qui a l’insolence de nous inviter à jouir de notre liberté par des questions?
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