Paul Vacca
Quand Neflix laisse le spectateur sur sa fin
Si l’annulation d’une série est un coup dur pour ses auteurs, elle l’est aussi pour les fans privés à jamais de la résolution de la série dans laquelle ils ont investi du temps.
Un jour, on demanda à Jean-Luc Godard ce qui, selon lui, constituait une bonne histoire et il eut cette magnifique réponse si godardienne: “Toute histoire doit avoir un début, un milieu et une fin, mais pas forcément dans cet ordre-là”. Netflix n’a visiblement pas retenu le conseil du réalisateur d’A bout de souffle : pour la plateforme, une série n’aurait pas nécessairement besoin d’une fin. C’est ce que l’on peut déduire de sa façon assez récurrente désormais d’annuler des séries en cours de route, privant le téléspectateur de fin et subséquemment le laissant sur sa faim.
Ce fut le cas l’an dernier avec Drôle, une série autour du stand-up qui n’avait eu droit qu’à une seule saison d’ouverture pourtant prometteuse. Un coup dur pour l’équipe de la série menée par la showrunneuse Fanny Herrero qui découvrit quelques jours après la diffusion que la série ne serait pas renouvelée alors que les auteurs planchaient depuis un moment sur la saison 2.
Plus spectaculaire encore par son ampleur fut l’annulation après une seule saison de la série 1899 – menée par Jantje Friese et Baran bo Odar, le duo qui avait créé Dark, un des grands succès de la plateforme. Une série de science-fiction high concept, fascinante et sophistiquée, pleine de mystères dont les créateurs avaient prévu de la déployer sur trois saisons permettant de distiller au fil des épisodes les réponses aux nombreuses questions que posait la saison inaugurale se terminant sur un cliffhanger vertigineux.
Netflix devrait peut-être suivre le conseil de Godard: commencer ses séries par la fin.
On nous dira à juste titre qu’il n’y a rien d’anormal à ce qu’une série ne soit pas renouvelée. C’est même la règle depuis que la télévision existe. Lorsque l’audience ne suit pas, le couperet tombe, les revenus de la publicité étant en grande partie corrélés à l’audience.
Pourtant, avec Netflix qui s’est construit à cor et à cri contre la télé à papa, on pouvait s’attendre à une autre approche: son modèle économique n’étant pas lié à l’audience, la plateforme pouvait laisser le temps à des séries de s’installer pour satisfaire ses abonnés. C’est d’ailleurs sur ce type d’argument qu’elle a pu attirer des talents comme Fanny Herrero notamment, qui voulait pouvoir installer une série sans l’épée de Damoclès minute par minute de l’audimat.
Or si l’annulation d’une série est un coup dur pour ses équipes, elle l’est aussi pour les fans privés à jamais de la résolution de la série dans laquelle ils ont investi du temps. Une pétition a d’ailleurs été lancée pour le maintien de 1899 rassemblant près de 100.000 signataires en colère face à ce 49.3 de Netflix.
Mais en agissant de la sorte,la plateforme s’engage dans une impasse qui va au-delà de la seule minorité, si bruyante soit-elle, des fans d’une série annulée. Comme le soulève Ted Gioia dans sa newsletter The Honest Broker, ces simples annulations conjoncturelles peuvent avoir, à mesure qu’elles se répètent, des répercussions systémiques dommageables.
En effet, à force d’annuler des séries, Netflix est en train de s’enferrer dans un cercle vicieux auto-réalisateur. Les spectateurs deviennent de plus en plus réticents à s’engager dans une nouvelle série de peur d’avoir à le regretter et se retrouver à nouveau le bec dans l’eau avec un magnifique cliffhanger irrésolu. Or, par ce comportement même, ils vont rendre inéluctable l’annulation de nombreuses séries.
Logique après tout. Commenceriez-vous un roman d’Agatha Christie si l’on vous privait des dernières pages? Le désengagement de Netflix sur les séries nourrit le désengagement des spectateurs. La plateforme devrait peut-être dès lors suivre le conseil de Godard: commencer ses séries par la fin. Sinon, en laissant ses abonnés sans fin, personne ne sait où leur désengagement prendra fin.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici