Bruno Colmant

Quand les États-Unis détruiront leur propre monnaie

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

L’étude de l’économie rend les économistes parfois pessimistes. Ne dit-on pas que les intellectuels s’accommodent mal du chaos du monde et que ce n’est qu’au fil des crises que la théorie avance ?

Je reviens sur le dollar et me pose une question : que pourrait-il arriver pour que le dollar reste une monnaie forte après des années de trumpisme ? La réponse est simple : rien. Ou, du moins, plus ce qui a garanti la dominance du dollar grâce à la capacité d’intervention militaire planétaire des États-Unis. Le monde s’est fracturé, et les États-Unis promeuvent désormais – apparemment – l’isolationnisme, menaçant même de se retirer de l’OTAN.

Mais ce n’est pas tout. Effrayées par les perspectives d’endettement des États-Unis, les agences de notation ne peuvent que progressivement dégrader la note des États-Unis. D’ici dix ans, si Trump applique son programme, la dette publique atteindra 125 % du PIB et le déficit budgétaire 9 % du PIB. Les charges d’intérêt croîtront rapidement, car la dette américaine sera refinancée à des taux d’intérêt plus élevés.

Le pari de Trump est que la croissance générée par ses baisses d’impôts surpassera celle de la dette. Ce n’est pas exclu en théorie, mais, comme on le sait, tout le monde rêve de vivre dans ce pays imaginaire appelé « Théorie », où tout se passe bien.

Progressivement, à moins d’y être contraints, de nombreux pays se délesteront de la dette américaine, comme le fait déjà la Chine. Pourquoi en serait-il autrement dans un monde multipolaire dominé par deux superpuissances, les États-Unis et la Chine ? D’ailleurs, plusieurs grands banquiers américains prévoient un krach obligataire sur la dette fédérale. Cela signifie que le taux d’intérêt « sans risque » universel, celui des obligations fédérales américaines, deviendra risqué, un choc qui se propagera à toute l’économie.

C’est pourquoi je pressens un événement. Un choc politique. Un fait qui amplifiera cette spirale. Les scénarios sont nombreux : mise sous tutelle de la Federal Reserve, contrainte de refinancer l’État américain à des taux inférieurs à l’inflation, taxe sur les flux de capitaux en dollars, défaut sélectif de l’État américain vis-à-vis de certains pays, lancement de dollars parallèles, comme des stablecoins US, qui déclasseraient le dollar traditionnel, ou même l’Armageddon, où les États-Unis cesseraient de fournir des liquidités à certaines banques centrales via les swaps qui les lient.

Bref, il se passera quelque chose, car les États-Unis estiment ne rien devoir au reste du monde et considèrent le dollar comme une arme à leur disposition. Ils l’ont déjà utilisé ainsi à plusieurs reprises. D’ici dix ans, l’événement aura eu lieu. Et probablement avant la fin du mandat de Trump. Ce sera un Godzilla monétaire.

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