Amid Faljaoui

Quand la BCE nous conseille de garder du cash…

On nous annonce depuis des années la fin du cash… et voilà que la BCE nous conseille d’en garder sous le matelas. Un paradoxe qui en dit long sur la fragilité de notre modernité financière.

Avouez que la scène est cocasse. Depuis des années, on nous répète que le cash est un vestige, qu’il coûte cher, qu’il alimente le blanchiment et qu’il finira par disparaître. Les paiements numériques sont censés être l’avenir, rapides, fluides, sécurisés. Et soudain, la Banque centrale européenne publie une note officielle expliquant qu’il serait prudent de conserver entre 70 et 100 euros en liquide par personne à la maison, de quoi tenir trois jours en cas d’instabilité majeure. On n’est plus très loin du conseil de nos grands-parents qui nous disaient de toujours garder un peu de billets sous le matelas.

Ce paradoxe est fascinant. La même BCE qui prépare l’euro numérique nous dit aujourd’hui : “gardez quand même quelques billets, au cas où”. Pourquoi ce revirement ? Parce que les crises récentes ont montré que, lorsque la stabilité vacille, tout le monde se tourne vers l’argent papier. En 2020, au début du Covid, la demande de billets a bondi de 140 milliards d’euros, trois fois plus qu’une année normale. En 2022, au déclenchement de la guerre en Ukraine, les pays voisins ont vu les retraits grimper de plus de 30 %. En avril dernier, lors de la panne géante du réseau espagnol, les distributeurs ont été pris d’assaut même après le rétablissement du courant. Et en Grèce, souvenez-vous des files interminables pour retirer soixante euros par jour au plus fort de la crise de la dette.

La BCE l’avoue donc à demi-mot : le cash a deux qualités que le numérique ne remplace pas. Il est pratique, car il fonctionne hors ligne quand tout le reste s’arrête. Il est psychologique, car tenir un billet dans sa main procure un réconfort immédiat, une impression de contrôle que ne donnera jamais une ligne de code dans une application bancaire. La monnaie n’est pas seulement une technique de paiement, c’est une fiction collective basée sur la confiance. Et quand cette confiance vacille, il faut un objet tangible auquel se raccrocher.

La monnaie n’est pas seulement une technique de paiement, c’est une fiction collective basée sur la confiance. Et quand cette confiance vacille, il faut un objet tangible auquel se raccrocher.

Bien sûr, 70 euros ne sauveront pas une famille en cas de crise prolongée. Mais la recommandation est symbolique. Elle admet que la modernité financière repose encore sur une béquille analogique. Le billet devient une bougie monétaire, inutile la plupart du temps, mais indispensable le jour du blackout.

C’est cette contradiction qui fait sourire autant qu’elle inquiète. Car si la BCE, l’institution monétaire la plus puissante d’Europe, nous dit de garder du cash à portée de main, c’est qu’elle considère qu’une panne, une cyberattaque ou une crise de confiance ne sont pas des scénarios théoriques mais des possibilités bien réelles.

Alors, faut-il en rire ou en trembler ? Peut-être les deux à la fois. Rire de voir le billet revenir par la petite porte alors qu’on annonçait sa disparition. Et trembler en réalisant que, dans les pires moments, ce que l’on croyait dépassé devient la seule certitude qui reste.

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