Amid Faljaoui

Nestlé : quand l’adultère sert de paratonnerre

Il y a des démissions qui en disent plus que de longs rapports stratégiques. Celle de Laurent Freixe, directeur général de Nestlé, en fait partie.

Un an après sa nomination, l’homme a été poussé vers la sortie. Non pour une erreur de pilotage, pas pour un chiffre en berne, mais pour une liaison non déclarée avec une subordonnée directe.

Le scénario est connu : enquête interne, verdict sans appel, communiqué officiel. Hier, on aurait clos l’affaire par un discret rappel à l’ordre. Aujourd’hui, c’est la guillotine. La vie privée d’un patron est désormais un sujet de gouvernance.

Nestlé n’est pas la première multinationale à faire tomber un dirigeant pour un adultère. McDonald’s avait évincé son patron Steve Easterbrook en 2019. Intel s’était séparé de Brian Krzanich en 2017 malgré des résultats record. Boeing, déjà en 2005, avait congédié Harry Stonecipher pour une romance jugée compromettante. Dans le capitalisme contemporain, un PDG peut survivre à un mauvais trimestre, mais pas à une liaison interdite.

Pourquoi une telle sévérité ? Parce que ce n’est pas la morale qui dicte les décisions, mais la mécanique. Les marchés veulent des dirigeants irréprochables, les salariés exigent l’égalité de traitement, et les consommateurs ne tolèrent plus les zones grises. La réputation est devenue l’actif le plus précieux.

Mais cette rigueur affichée par Nestlé masque un malaise plus profond. Car ce n’est pas une romance non déclarée qui menace l’avenir du groupe suisse, mais une révolution médicale et alimentaire.

Les médicaments anti-obésité, les fameux GLP-1 comme Ozempic ou Wegovy, changent tout. Ces molécules imitent une hormone naturelle qui réduit l’appétit. Résultat : elles transforment les habitudes alimentaires et entraînent des pertes de poids spectaculaires. Aux États-Unis, déjà 10 % des adultes en consomment. Résultat direct : ils achètent 8 à 10 % de nourriture en moins. Et ce sont précisément les produits phares de Nestlé – chocolat, glaces, céréales – qui sont touchés. Le titre a déjà perdu près de 40 % depuis 2022.

Face à ce choc, Nestlé a réagi. Aux États-Unis, le groupe a lancé une nouvelle marque, Vital Pursuit. Des pizzas, pâtes et sandwichs enrichis en protéines et en fibres, portions réduites, vendus à prix serré. L’idée : s’adresser aux consommateurs sous GLP-1, qui perdent non seulement du gras mais aussi du muscle. Danone a suivi avec un yaourt Oikos Fusion enrichi en protéines, en leucine et en vitamine D, présenté comme une réponse à la fonte musculaire liée à ces traitements.

Autrement dit, l’agroalimentaire se repositionne en urgence : quand la pharmacie coupe l’appétit, on essaie de vendre des pansements protéinés pour préserver la masse musculaire et calmer les investisseurs.

Mais est-ce une véritable stratégie ? Ou seulement une rustine marketing ? Les projections du cabinet Roland Berger sont sévères : la vague GLP-1 pourrait réduire de 60 à 90 milliards de dollars les dépenses alimentaires américaines d’ici 2031. Avec, à la clé, des pertes massives pour les chips, les biscuits sucrés et les sodas. En clair, pour les piliers historiques de l’agroalimentaire mondial.

Voilà le paradoxe : Nestlé se montre intraitable sur la vie privée de son patron, mais hésitante face à une tempête qui menace son modèle. On vire un homme pour une liaison, mais qui aura le courage de licencier les illusions d’un secteur en train de se faire bousculer par la médecine ?

La vraie question n’est pas de savoir qui dort avec qui. La vraie question est de savoir qui aura encore faim demain.

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