Bruno Colmant

L’ultime rédemption monétaire: la cryptomonnaie détrône le dollar

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

Je prédis depuis des mois que la banque centrale américaine va perdre son indépendance (acquise constitutionnellement en 1913) et être placée sous le contrôle de Donald Trump. C’est désormais presque certain, d’autant qu’Elon Musk, omniprésent, est un adepte des théories de Friedrich Hayek (1899-1992), dont Margaret Thatcher (1925-2013) avait fait de ses ouvrages ses livres de chevet.

Comme Hayek, Musk est un libertarien, allant même jusqu’à prôner la coexistence du dollar avec un stock de bitcoins détenu par les autorités américaines. Musk a d’ailleurs tweeté qu’il imagine rembourser la dette américaine avec des cryptomonnaies, sans comprendre qu’il ruinerait instantanément le système bancaire américain et ferait imploser la planète financière, dépourvue de son référentiel systémique, c’est-à-dire le dollar.

Mais quelle était exactement l’idée de Hayek ? Contestant la neutralité monétaire postulée par les économistes classiques, Hayek proposait un système de concurrence entre différentes monnaies, privées et publiques, au sein duquel la monnaie la moins fiable conduirait progressivement à la thésaurisation de la monnaie la plus stable. Il plaidait ainsi pour la dénationalisation, voire le démantèlement de la monnaie dans un système de libre concurrence, arguant que la monnaie était fondamentalement politisée. Par un processus de sélection naturelle, les monnaies fragiles finiraient par disparaître dans une quête perpétuelle, et donc jamais aboutie, du monopole monétaire. L’idée de Hayek exclut l’existence d’un état monétaire stationnaire, car toute monnaie dominante serait en permanence challengée par une autre.

Ce système de concurrence monétaire fut adopté par certains pays, comme le Canada (entre 1891 et 1934), l’Écosse (entre 1716 et 1845) et les États-Unis (entre 1837 et 1863), où il était permis aux banques commerciales d’émettre leurs propres billets pour autant que ceux-ci soient couverts par leur équivalent en or. Les théories de Hayek sont ainsi liées au courant du “Free Banking”, dont Adam Smith (1723-1790) et David Ricardo (1772-1823) furent parmi les premiers partisans. Cette école de pensée, aujourd’hui délaissée, préconisait une concurrence totale entre les banques commerciales, sans le moindre contrôle d’une instance supérieure, comme une banque centrale ou un régulateur financier. Les banques commerciales auraient pu émettre leur propre monnaie, tout en conservant une monnaie étalon définie par l’État.

Friedrich Hayek partageait des préceptes proches de ceux du Français Léon Walras (1834-1910), l’un des plus illustres mathématiciens de l’économie et adepte de la neutralité monétaire. Partisan de l’École classique, Léon Walras affirmait qu’une économie s’oriente vers l’équilibre dans le cadre d’une concurrence parfaite. Cette affirmation le conduisit à la théorie du tâtonnement walrassien, qu’on peut résumer, à l’instar d’un marché boursier, comme un lieu d’échanges où les prix se forment par itérations jusqu’à ce que les intentions d’offre et celles de demande coïncident.

Tout se passe comme si le marché des capitaux et du travail était une immense salle de vente, animée par un commissaire-priseur qui affiche le prix des biens et des services. L’équilibre est atteint lorsque les facteurs de production sont vendus à la criée, sur la base de leur valeur marginale. Léon Walras affirmait que l’équilibre général pouvait être atteint sur l’unique base de la rareté d’une ressource. Il conditionne ce tâtonnement à un ensemble de conditions destinées à assurer une concurrence pure et parfaite, dont l’atomicité de l’offre et de la demande, la libre entrée des intervenants sur le marché, ainsi que la transparence et la fluidité de ce dernier. Ces conditions ne sont évidemment jamais rencontrées, mais leur filigrane se rapproche des objectifs de la doctrine néolibérale qui conduit à l’atomisation du travail afin de permettre l’optimalité du rendement du capital.

Si tout cela aboutit, cela entraînera une perte de confiance dans le dollar, c’est-à-dire au risque financier ultime : l’Armageddon. Et contre cela, il n’y a pas d’échappatoire, puisque le dollar est consubstantiel au système monétaire.

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