Jean-Pierre Schaeken Willemaers
L’incompréhensible politique énergétique européenne
Ces dernières années, les journaux télévisés des pays de l’ouest de l’Europe, de même que la presse écrite, ne se lassent pas de répéter que toutes anomalies (réelles ou supposées) dans l’évolution des phénomènes naturels (températures locales ou mondiales, désertification, réchauffement des océans, inondations, ouragans, feux de forêt, etc.) sont dues au changement climatique. Celui-ci, provenant des émissions de CO2 d’origine anthropique selon la théorie du GIEC, il faut renoncer d’urgence aux énergies fossiles et les remplacer par des énergies renouvelables.
L’obsession de la Commission européenne (c’est-à-dire des États membres, car ce sont eux qui finalement prennent les décisions via le Parlement et le Conseil européens) de vouloir imposer l’éolien et le photovoltaïque comme principale source d’énergie électrique est inquiétante. Malgré les échecs de ce qu’ils appellent la transition énergétique (répertoriés ci-après), la Commission européenne et les États membres ne considèrent toujours pas la nécessité de réévaluer leur doxa.
D’abord un commentaire sur le fait que parler de transition énergétique est inapproprié.
Dans l’histoire de l’électricité en particulier, il n’y a pas eu de basculement d’un type d’énergie à un autre, mais l’émergence de nouvelles formes de celles-ci qui ne se substituent pas à celles qui existent, mais s’y juxtaposent. On constate, en effet, que le charbon n’a pas éliminé le bois comme combustible, ni l’hydroélectricité le charbon, le gaz n’a pas non plus supprimé l’utilisation de l’eau et du charbon comme source d’énergie, pas plus que le nucléaire n’a évincé aucune des énergies précitées.
Quant à l’éolien et au photovoltaïque, ils sont encore moins à même de les remplacer en raison, entre autres, de leur intermittence et de leur coût élevé résultant de la compensation de leur production discontinue.
Venons-en au cœur du sujet : l’imposition, par l’Union européenne, d’un modèle visant, entre autres, d’ici à 2050 :
– à éliminer tous recours aux combustibles fossiles au motif qu’ils contribuent au réchauffement de la planète par leurs émissions de gaz à effet de serre ;
– et à une production d’électricité principalement éolienne et photovoltaïque.
L’Allemagne est un cas d’école d’une politique énergétique du tout renouvelable vouée à l’échec.
Elle connaît aujourd’hui une crise énergétique structurelle. Sa sortie totale du nucléaire et ses énormes investissements dans l’électricité renouvelable, l’obligeant à relancer ses centrales thermiques (charbon et lignite) et à en construire de nouvelles, en raison de l’intermittence de sa production verte d’électricité (Energie Wende), ont contribué à une baisse de la compétitivité de son industrie en raison du prix élevé de son électricité (la plus chère de l’UE) et à mettre en péril sa souveraineté.
En dépit des 600 milliards d’euros investis dans l’Energie Wende, l’Allemagne reste le mauvais élève de l’UE en termes d’émissions de CO2 par habitant.[1]
Début mars 2024, la Bundesrechnungshof (la Cour des comptes allemande) a publié un article accablant sur l’Energie Wende.
« Selon la Cour Fédérale des Comptes, le gouvernement fédéral serait en retard dans le développement des énergies renouvelables et des réseaux électriques ainsi que sur le calendrier de construction de nouvelles centrales électriques bas carbone en back-up pour pallier la variabilité de la production des énergies renouvelables telles que l’éolien et le photovoltaïque.
À cela s’ajoutent des lacunes sur l’évaluation des répercussions du tournant énergétique sur le paysage, la nature et l’environnement et l’absence de concept contre les prix élevés de l’électricité. Le gouvernement fédéral manque d’un monitoring efficace pour piloter la transition énergétique prenant en compte tous les objectifs (sécurité d’approvisionnement, accessibilité financière, protection de l’environnement) »[2].
D’ailleurs déjà en 2021, Kay Scheller, présidente du contrôle fédéral des finances, dénonçait une forme de transition énergétique qui met en danger l’économie de l’Allemagne et sollicite de manière excessive la viabilité financière des entreprises consommatrices d’électricité et des ménages.
L’Energie Wende est devenue de plus en plus impopulaire ![3]
Les propos de la Commissaire européenne à l’Énergie, Kadri Simson, n’ont-ils pas atteint un comble de l’absurdité lorsqu’elle a évoqué, devant le parlement européen, l’échec de la France sur ses objectifs relatifs aux énergies renouvelables et qu’elle l’a incitée à déployer de nouvelles mesures alors que l’électricité française est déjà quasi totalement décarbonée grâce à son parc nucléaire et à ses centrales hydrauliques ?
Mais voilà, pour les Ayatollahs de l’économie verte, il faut essentiellement de l’éolien et du photovoltaïque onéreux et intermittent !
Au niveau européen, la croissance des énergies renouvelables pose de nouveaux défis. En 2023, Entso-E (European Network of Transmission System Operators for Electricity), a publié une mise à jour de son étude de 2021 à la lumière notamment de cinq incidents majeurs, dont ceux en l’Angleterre[4] et dans la péninsule ibérique de 2021[5], pays à forte pénétration du renouvelable intermittent. Dans sa conclusion, il confirme le déclin progressif de la résilience du système électrique en raison la réduction de son inertie du fait de la fermeture de centrales thermiques et nucléaires et donc de groupes turboalternateurs qui pèsent plusieurs centaines de tonnes, tournant tous de façon synchrone à 50 Hz. L’inertie considérable créée par cette énorme masse en mouvement assure au réseau une stabilité dynamique par son réglage automatique et décentralisé de la fréquence, par sa résistance aux accélérations et la restitution de cette énergie lors des ralentissements qu’elle contrecarre ainsi.
En ce qui concerne le renouvelable intermittent européen, il n’est pas aussi bon marché que le prétendent les écologistes, tant s’en faut.
En France selon l’IFP, le prix, en fonction du coût du capital, de l’éolien terrestre est de 60–70 €/MWh, celui de l’éolien en mer posé de 40–80 €/MWh et celui de l’éolien en mer flottant moins mature de 120-150 €/MWh, tandis que le coût du photovoltaïqueest de 45 à 81 €/MWh.[6]
On est loin des prix du nucléaire coréen (de 29 à 42 $/MWh pour l’APR 1400),
Chinois (de 30 à 44 $/MWh pour le CPR-1000) et russe (43 à 68 $/MWh).
Les prix nettement plus élevés de l’électricité produite par les nouvelles centrales nucléaires françaises et américaines et les délais de construction plus longs sont dus au désintérêt de ces deux pays pour le nucléaire civil durant environ 3 décennies. Ils se sont ainsi privés des évolutions technologiques et des améliorations accumulées par les pratiques de fabrication et d’exploitation.
Dès lors, comparer les prix du nouveau nucléaire français ou américain à ceux du renouvelable intermittent est sans intérêt. En revanche, confronter les coûts de ces derniers avec ceux du nucléaire des pays qui n’ont cessé de croire en l’avenir de celui-ci est nettement plus instructif.
Les coûts de production éolienne terrestre française précités semblent néanmoins optimistes.
Ainsi, le prix moyen de l’appel d’offres « éolien terrestre » de la CRE (Commission de Régulation de l’Énergie française) en février 2024 s’est élevé à 87,23 €/MWh pour une puissance de 1007 MW[7]. Ce prix est même supérieur à celui de la production électrique à partir de gaz.
En ce qui concerne l’éolien en mer, la présidente de la Commission de régulation de l’énergie Emmanuelle Wargon, lors d’une conférence sur l’hydrogène, a précisé que même si on fait converger les prix de marché vers les prix de production, les prix de l’éolien en mer se situent dans une fourchette de 60 à 80 euros par MWh.[8]
En outre, l’avenir de l’éolien terrestre est pour le moins incertain vu l’opposition de la population. De plus en plus de citoyens européens et d’édiles locaux s’organisent pour en empêcher la construction.
En France, Vent des maires, comptant plus de 1000 membres dont 523 maires et une cinquantaine de députés, de sénateurs et de conseillers régionaux, a été constitué en 2021 pour donner la parole aux maires afin qu’ils puissent agir en fonction de l’avis de leurs concitoyens en ce qui concerne les éoliennes.
En outre, la fabrication des éoliennes installées sur le territoire de l’Union européenne profite peu aux États membres, leurs composants essentiels sont largement importés de Chine vu leurs prix imbattables.
D’autre part, les tenants de la politique bas carbone n’hésitent pas à affirmer que si le système actuel devait être prolongé, il ferait exploser le nombre de catastrophes naturelles qui seraient plus violentes à l’avenir.
La confusion volontaire et systématique entre ce dernier argument et le changement climatique relève de la manipulation.
On constate, en effet, que :
– la fréquence des ouragans qui frappent, par exemple, les États-Unis n’augmente pas, selon un article publié dans le Wall Street Journal, voire aurait diminué depuis 1900.[9] En outre, ils ne sont pas plus puissants, ce que confirme un article de Nature : le nombre d’ouragans puissants ne fait pas partie d’une croissance à l’échelle du siècle, mais d’une reprise après un profond minimum dans les années 1960-1980.[10]
Les ouragans causant des dommages représentent 0,04% du PIB mondial. Une autre étude publiée dans Nature démontre que ce coût va baisser pour atteindre 0,02% en 2100.[11]
– En ce qui concerne les inondations, le bilan humain est moins lourd actuellement qu’au début du siècle dernier. Le risque annuel de décès dû aux inondations a été divisé par 3 entre 1903 et aujourd’hui.[12]
Les décès par rapport à la population et les coûts par rapport au PIB ont d’ailleurs diminué dans le monde entier entre 1980 et 2010.
Il est temps que l’Union européenne (et en premier lieu les États membres) visant une énergie totalement renouvelable d’ici à 2050, change de logiciel sous peine de devenir une puissance secondaire au niveau mondial. Leur entêtement à limiter leur mix énergétique aux seuls renouvelables les rendent vulnérables et nettement moins compétitifs par rapport aux superpuissances états-uniennes et chinoises ainsi qu’à d’autres pays émergents (Corée du Sud, etc.) qui sont à cet égard nettement plus pragmatiques.
[1] L’Allemagne est devenue le cas d’école d’une politique énergétique vouée à l’échec, la rédaction, Transitions et Énergies, 11 mars 2024
[2] Le rapport accablant de la Cour fédérale des Comptes sur la transition énergétique, Helmut Lauer, 11 mars 2024.
[3] L’Allemagne est devenue le cas d’école d’une politique énergétique vouée à l’échec, Transitions et Énergies, 11 mars 2024.
[4] Black-out en Angleterre : l’opérateur du réseau veut éviter la répétition de l’incident, Bernard Deboysen, 10 août 2021.
Le 9 août 2019, peu avant 17 heures, en pleine heure de pointe le réseau disjoncte provoquant une gigantesque panne de courant dans une grande partie du sud de l’Angleterre, au pays de Galles et dans quelques zones du nord-est.
[5] Une panne de courant a touché la péninsule ibérique, Pablo Bronte, Montel news, 26 juillet 2021.
L’Espagne et le Portugal ont connu une coupure de courant pendant une heure après une perturbation de l’interconnexion avec l’Europe via la France.
[6] Énergie éolienne : transformer le vent en électricité, IFP Énergies nouvelles.
[7] RWE remporte le plus grand nombre de projets au dernier appel d’offres éolien terrestre de la CRE, RWE, 19 février 2024.
[8] La filière française de l’éolien en mer se met en ordre de bataille sur un marché semé d’embûches, L’Usine nouvelle, 10 janvier 2024.
[9] Hurricane Ida is not the whole story on climate, Bjorn Lomborg, 15 septembre 2021.
[10] Changes in Atlantic major hurricans frequency since late 19th century, Gabriel A. Vecchi et al., Nature, 13 July 2021.
[11] The impact of climate change on global tropical cyclone change, Robert Mendelsohn et al., 15 janvier 2012.
[12] The world is getting safer from flood, Bjorn lomborg, Wall Street journal, September 3, 2021.
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