La manifestation du 14 octobre traduit l’aveuglement de la FGTB. Paradoxalement, c’est au moment où elle souffle ses 80 bougies que l’histoire lui prépare un enterrement de première classe. Son fossoyeur n’est pas le gouvernement Arizona, c’est l’IA, capable de remplacer non plus une tâche, mais un métier et, par ricochet, la colonne vertébrale du syndicalisme, la représentation salariale. La FGTB croit qu’elle mène le combat du 21e siècle contre les méchants patrons, les licenciements et la précarisation du travail. Elle s’est trompée de siècle. Et surtout d’ennemi. L’ennemi n’est pas la FEB, c’est l’IA. L’IA ne veut pas délocaliser les emplois, elle va les absorber.
Depuis toujours, le combat syndical repose sur l’idée que l’humain est le seul créateur de valeur. Cette croyance structurait les grèves, les négociations et le bras de fer sur les salaires. Or, l’IA code mieux que les développeurs, écrit mieux que les journalistes, négocie mieux que les commerciaux, fait des diagnostics plus fiables que les médecins… Et ce n’est que le début. L’IA n’a pas peur des piquets de grève. Elle ne fait pas de pause-café. Elle n’a pas besoin d’allocations de chômage, ni de retraite anticipée. Elle est un employé idéal qui se duplique, s’améliore et ne dort jamais. La révolution industrielle avait besoin des ouvriers. La révolution numérique avait encore besoin des ingénieurs. La révolution de l’IA, elle, n’a besoin de personne. Elle va tuer le travail, ou du moins en faire une option culturelle. Dès lors, que défendra la FGTB dans 20 ans ? Le maintien des statuts sociaux pour des métiers disparus ? Des droits de grève pour des intelligences humaines obsolètes ?
La FGTB prospère sur un contrat social simple associant emplois stables, forte base ouvrière et frontières nationales cadrant la négociation associée à la menace de grève. Aucun de ces piliers ne survit à l’IA. L’open source, les plateformes et l’automatisation cognitive disloquent déjà les chaînes de valeur. Le cloud n’a pas de frontières. Où placer le piquet de grève ? Sur l’URL ?
Les syndicalistes, hier défenseurs du temps libre, vont organiser des files d’attente pour accéder à la servitude volontaire.
Le plus spectaculaire est l’inversion du chantage. Désormais, ce sont les salariés qui vont supplier les patrons de les exploiter. “Laissez-moi faire quelque chose, n’importe quoi pourvu que je reste utile !” L’extraction de valeur n’est plus le lieu de la domination, c’est devenu le dernier refuge de la dignité humaine. Travailler ne sera plus une contrainte, mais un privilège. Les syndicalistes, hier défenseurs du temps libre, vont organiser des files d’attente pour accéder à la servitude volontaire.
La disparition programmée des syndicats signale une mue civilisationnelle puisque la politique et la négociation glissent des hémicycles vers les protocoles informatiques. L’IA ne tue pas le collectif, elle le redéfinit. Les tribus de demain se forment sur GitHub ou Discord plutôt qu’au siège de la rue Haute. Quel rôle reste-t-il à la FGTB ? Devenir musée de la lutte ouvrière ? Le drame, c’est que la FGTB n’anticipe rien. Elle veut plus d’impôts sur les entreprises qui emploient des humains, pendant que les entreprises les plus rentables sont des armées de puces GPU avec peu d’employés. Ironiquement, la FGTB pourrait avoir encore un rôle en militant pour un revenu universel piloté et financé par des IA qui seront bientôt les seuls travailleurs compétitifs. C’est-à-dire en devenant un lobby de la redistribution algorithmique. Un syndicat sans travailleurs. En réalité, l’IA ne tuera pas la FGTB avec violence. Elle l’étouffera dans l’indifférence. Comme on archive un fichier obsolète.