L’IA peut permettre de tarifer chacun à son profil de risque et de consommation, à la minute et à la donnée près.
En assurance auto, le risque devient parfaitement connu grâce aux capteurs. Dans la banque, le score de crédit aspire des signaux alternatifs. Dans l’énergie, le tarif peut suivre la courbe de charge. À première vue, c’est l’efficience parfaite. En réalité, c’est un choc culturel pour l’Europe, terre de mutualisation. Le risque et la tarification étaient socialisés et l’IA les bouleverse.
Le mouvement est à la fois technique, juridique et économique. Technique, parce que les IA alimentent des chaînes de décision du pricing à la détection de fraude. Juridique, parce que l’AI Act encadre désormais les usages sensibles comme le social scoring interdit en Europe. Il s’agit d’éviter que l’évaluation sociale à la chinoise contamine la tarification ou l’accès au crédit. Économique, car la segmentation fine bouleverse les équilibres historiques. L’assurance n’existe que si les “mauvais risques” restent assurables. Or, la granularité algorithmique tend spontanément à éjecter les profils coûteux. Les régulateurs l’ont compris : le credit scoring est classé à haut risque par l’AI Act, ce qui déclenche des obligations lourdes (gouvernance, contrôle des données et supervision humaine). On ne pourra plus déployer un score opaque qui fonctionne statistiquement sans expliquer son mécanisme et ses biais.
Deux garde-fous supplémentaires redessinent la frontière “du juste et du légal”. D’abord, un droit à l’explication individuelle des décisions automatisées comme un refus de prêt, une prime augmentée ou la coupure d’un avantage tarifaire… C’est un tournant culturel, l’optimisation ne suffit plus, il faut l’intelligibilité de l’optimisation. Dans l’énergie, la désegmentation s’installe aussi par le droit. Les États doivent permettre aux fournisseurs d’offrir des contrats à prix dynamiques. Avec des modèles d’IA associés aux compteurs intelligents, chacun paie selon son profil de flexibilité en temps réel. Très efficace pour le système énergétique, mais potentiellement inéquitable sans garde-fous.
En matière d’assurance, le superviseur européen de l’assurance vient de publier une vision structurante : contrôle des données, traçabilité, équité, cybersécurité, explicabilité et oversight humain. Chaque chaînon de vos décisions doit être auditable et défendable devant le régulateur et devant un client qui contesterait.
Que faire côté entreprises ? D’abord, accepter que la performance exige aussi la transparence algorithmique. Un modèle qui augmente votre rentabilité, mais reste opaque, devient un danger. Ensuite, construire la cartographie des risques algorithmiques. Troisièmement, redessiner la mutualisation en inventant des “pools solidaires 2.0” pour les profils fragiles non par philanthropie, mais pour préserver la légitimité politique des métiers du risque. Enfin, apprendre à fournir une explication pour chaque décision sensible.
La ligne de crête est étroite. Oui, l’IA permet d’allouer le capital avec une précision chirurgicale, mais l’Europe n’acceptera pas que cette précision dérive vers une “ségrégation algorithmique”. Les gagnants seront ceux qui combineront hyper-segmentation efficace et solidarité. Il faut inventer un “mutualisme algorithmique” où l’on garde le meilleur des deux mondes, la finesse de l’IA et l’équité du contrat social. Ceux qui y parviendront ne se contenteront pas d’être conformes, ils seront préférés par les clients, les régulateurs et même les investisseurs sans renier l’ADN de l’Europe.
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