Et si la traduction automatique en temps réel sauvait l’unité du pays en rendant désuet le débat linguistique ? Le Belge rêve d’unité nationale, mais trébuche sur les langues. Depuis un siècle, les débats communautaires sont moins des disputes idéologiques que des querelles de syntaxe. Qui parle quoi, où, quand et surtout à qui ? Le français, le néerlandais, l’allemand et les patois s’y battent en duel, au rythme des querelles de clocher administratives. Mais un invité imprévu menace de rendre cette guerre obsolète : l’intelligence artificielle.
Depuis le début de 2025, la traduction automatique en temps réel dopée par les modèles de langage de type GPT a franchi un seuil décisif. Finis les logiciels de traduction approximatifs. Les IA actuelles saisissent les nuances, les contextes culturels et même les doubles sens. Elles entendent l’ironie, adaptent le ton et traduisent les jeux de mots sans jamais trahir l’intention. L’intercompréhension instantanée devient non seulement possible, mais fluide et agréable.
Et si ce pays, usé par les querelles communautaires, trouvait dans l’IA le moyen de neutraliser pacifiquement le débat linguistique ? Il suffirait que les citoyens soient équipés de dispositifs électroniques de traduction instantanée pour que la langue cesse d’être un mur. Le Wallon pourrait entendre le Flamand en français, et vice versa, sans que personne ne se sente humilié ni forcé de trahir sa culture.
Ce scénario n’est pas utopique. Les grands modèles d’IA progressent à un rythme exponentiel. Les géants comme OpenAI, Meta-Facebook ou Google, investissent massivement dans des systèmes de transcription et de traduction qui, demain, pourraient être intégrés nativement dans nos lunettes, nos AirPods ou nos montres. La Belgique pourrait devenir le premier pays post-babélien, un territoire multilingue sans tensions linguistiques.
Évidemment, ce progrès effraiera les professionnels du langage. Traducteurs, interprètes, fonctionnaires multilingues qui avaient fait du multilinguisme une compétence stratégique vont perdre leur monopole. On ne vendra plus sa langue, on la partagera gratuitement. Le pouvoir passera de la maîtrise de la langue à la maîtrise de la machine. Mais plus encore, c’est tout un imaginaire politique qui vacillera. Car la Belgique est une monarchie syntaxique qui fonctionne mal, mais qui fonctionne aussi grâce à l’ambiguïté linguistique. Si, demain, cette ambiguïté disparaît, si chaque parole peut être comprise immédiatement dans toutes les langues nationales, le flou volontaire qui permettait de ménager tout le monde s’évanouira. Plus de “malentendus utiles”. Plus d’arbitrage sémantique. La transparence linguistique entraînera une clarification politique et donc des clashs plus directs.
La Belgique est une monarchie syntaxique qui fonctionne mal, mais qui fonctionne aussi grâce à l’ambiguïté linguistique.
Faut-il accepter cette transparence et ses effets déstabilisants ou freiner volontairement la diffusion de ces outils pour maintenir le modèle belge. Le Roi pourra-t-il encore régner sur un pays où chacun comprend tout le monde ? Le compromis belge survivra-t-il à l’IA ? Ou, au contraire, est-ce l’occasion rêvée de réinventer la nation non plus autour de la langue, mais autour d’un projet ? Et si, débarrassée de ses divisions linguistiques, la Belgique pouvait enfin se réconcilier avec l’idée même d’un destin commun ? L’IA ne sauvera pas la Belgique. Mais elle peut rendre le conflit linguistique aussi dépassé que le fax et les coalitions à huit partis. À condition, bien sûr, que les Belges veuillent encore se parler même par machines interposées.