Amid Faljaoui

L’Europe unie par la guerre…. brisée par la paix en Ukraine ?

Une chronique d’Amid Faljaoui.

Trois ans et demi après le début de la guerre en Ukraine, une question revient, doucement mais sûrement : la paix serait-elle enfin en vue ? Les signaux restent fragiles, et les “discussions” improvisées entre Washington et Moscou n’ont mené nulle part. Mais si un accord finit par émerger, même imparfait, nos confrères de The Economist préviennent : ce ne sera pas seulement un tournant géopolitique. Ce sera un choc économique et politique majeur pour l’Europe.

Pourquoi ? Parce que la guerre a uni le continent comme jamais. Sous la pression, l’Europe est devenue une équipe soudée. Les Vingt-Sept ont accueilli des millions de réfugiés ukrainiens, trouvé de l’argent, livré des armes, mis en place vingt séries de sanctions contre Moscou, et même rouvert la porte à l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Les divisions existaient toujours, bien sûr… mais elles étaient comme anesthésiées par l’urgence.

Et c’est là que le message de The Economist est très clair : le jour où la guerre s’arrête, cette unité peut se fissurer instantanément.

Commençons par l’Est de l’Europe. Pour la Pologne, les pays baltes ou la Finlande, un cessez-le-feu n’est pas synonyme de sécurité. C’est même peut-être l’inverse. Leur lecture est simple : si la Russie n’a plus l’Ukraine à gérer, elle pourra redéployer ses forces ailleurs en Europe. Donc pour eux, la fin de la guerre est presque une nouvelle menace. Économiquement, cela signifie continuer à investir massivement dans la défense, maintenir une pression maximale sur la Russie, et refuser tout retour à “la normale”.

À l’Ouest, la perception est différente. En France, en Italie, en Espagne, ou dans une partie de l’Allemagne, beaucoup verront la paix comme une occasion de tourner la page. Moins d’urgence, moins de tension, moins de dépenses de sécurité… et peut-être – ce sera un débat explosive – l’idée de reprendre, même de façon limitée, certaines relations commerciales avec la Russie, notamment importer à nouveau du gaz et pétrole russe. Les industriels allemands pousseront dans cette direction pour des raisons de compétitivité. À l’inverse, Varsovie ou Tallinn y verront une faute historique et morale.

Deuxième ligne de fracture : l’Ukraine elle-même. Tant que la guerre continue, elle mobilise la compassion, la solidarité, la détermination. Mais en temps de paix, l’Ukraine devient un immense chantier économique. Un pays détruit, à reconstruire. Des infrastructures à rebâtir. Des millions de réfugiés à accompagner, voire à encourager à rentrer. Et une question financière immense : qui va payer ?

Nombre d’experts évoquent même une tension transatlantique : les États-Unis veulent une part des actifs russes gelés dans la banque Euroclear à Bruxelles, et une part des opportunités économiques de la reconstruction ukrainienne. Autrement dit : paix ou pas, les intérêts économiques nationaux vont reprendre leurs droits.

Enfin, troisième fracture : les États-Unis eux-mêmes. Tant que la guerre dure, l’Europe s’aligne. Parce qu’elle n’a pas le choix. Parce qu’un Donald Trump prêt à lâcher l’Ukraine représente un risque trop grand. Mais une fois la paix revenue, certains pays européens pourraient décider qu’il est temps de réévaluer leur dépendance stratégique et que l’Europe a assez avalé de couleuvres de la part de Trump. Mais d’autres pays européens, au contraire, jugeront qu’abandonner le parapluie militaire américain serait suicidaire.

Au fond, ce que montre parfaitement le texte original, c’est que la guerre a servi d’adhésif. Elle a obligé l’Europe à agir collectivement, à se dépasser, à oublier ses réflexes nationaux. Mais cet adhésif est temporaire. La paix pourrait redevenir un dissolvant. Et économiquement, ce dissolvant est puissant :
d’abord, car à l’Est, la priorité restera la sécurité, même si cela coûte très cher ; ensuite, parce qu’à l’Ouest, la priorité sera la normalisation, la compétitivité, le retour de certains flux commerciaux ; et qu’au milieu, on a l’Ukraine, un pays à reconstruire, mais aussi un facteur de division. Au final, on peut dire que l’Europe a tenu parce qu’elle avait un ennemi commun juste à sa frontière. La question maintenant est simple, mais décisive : tiendra-t-elle encore une fois que cet ennemi aura déposé les armes ?

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