On croit parfois que la guerre se limite aux tanks, missiles et soldats. Mais l’écrivain Giuliano da Empoli, auteur du roman Le Mage du Kremlin, rappelle dans Le Point que l’agression contre l’Europe est déjà en cours… et qu’elle ne passe pas forcément par les armes.
Regardons la Russie. On pourrait penser que Poutine a échoué, puisque qu’il n’a pas pris l’Ukraine en trois jours comme il l’espérait. Mais, nous dit da Empoli, cette guerre lui profite. Elle lui permet de maintenir son peuple dans une logique de siège, de peur et de propagande. Il ajoute une phrase frappante : une vraie paix serait dangereuse pour Poutine. Pourquoi ? Parce qu’un jour, les soldats rentreront du front, certains mutilés, d’autres sans travail, d’autres encore animés par la rage d’avoir tout perdu pour rien. Cette colère pourrait se retourner contre le Kremlin. Pour Poutine, la guerre, même coûteuse, est plus sûre qu’une paix instable.
Ensuite, il y a Donald Trump. Ah, Trump… Sur la scène internationale, c’est Hollywood : caméras, tapis rouge, photos mises en scène dans le Bureau ovale. Vous avez vu ces clichés ? Trump dans son fauteuil, et les Européens de dos, alignés comme des écoliers. Tout est pensé pour montrer qui commande réellement. Une humiliation de l’Europe.
“Une vraie paix serait dangereuse pour Poutine. La guerre, même coûteuse, est plus sûre qu’une paix instable. »
Derrière le spectacle, il y a aussi une idéologie. Trump affirme que “votre démocratie européenne est obsolète”. Juges indépendants, Constitutions, droits des minorités… tout serait dépassé. Giuliano da Empoli parle de technocésarisme : gouverner avec la force militaire et la domination numérique. Chez lui, mépris pour la Cour pénale internationale, attaques contre les institutions internationales, encouragement des partis illibéraux, taxes record… Tout concourt à imposer son modèle.
Le problème, c’est que nous, Européens, nous nous laissons parfois endormir. Nous nous réjouissons d’un compliment de Trump ou d’un geste symbolique… mais nous restons en position de faiblesse. Avec un marché de 450 millions de consommateurs, nous avons une force énorme ! Et pourtant, nous négocions comme si nous étions un petit pays isolé. Nos institutions européennes, pensées pour le compromis, sont un atout en temps de paix, mais un handicap face à des prédateurs.
Da Empoli propose un changement de méthode : si l’Europe à 27 bloque, avançons à 10, 12, 15. Des coalitions volontaires, comme pour Airbus. Résultat : l’A320 est aujourd’hui l’avion le plus vendu au monde. Donc oui, c’est possible de rattraper et dépasser, à condition d’oser.
Il y a un secteur où il faut absolument oser : le numérique. Les grandes plateformes américaines — Google, Facebook, Amazon — vivent de nos clics, mais leurs algorithmes poussent au clash, aux fake news, aux divisions. Réguler les Gafam n’est pas de la paperasserie. C’est une question de survie. Quand Trump menace ceux qui régulent, on voit bien que c’est une guerre de souveraineté.
En résumé : Giuliano da Empoli nous alerte. L’agression contre l’Europe n’est pas seulement russe. Elle est américaine, idéologique et numérique. Si nous continuons de voir cela comme de simples “problèmes techniques”, nous nous trompons lourdement. Ce qui est attaqué, c’est notre liberté, notre mode de vie, notre démocratie. Et cette fois, il ne suffira pas de faire le gros dos. Il faudra agir.