L’Europe n’entre pas simplement dans une zone de turbulences ; elle affronte une conjonction de crises qui menacent son existence même. Le diagnostic est sans appel : notre continent est désormais isolé, économiquement assiégé et politiquement atomisé.
La protection américaine appartient au passé. Les États-Unis ont acté leur décrochage politique et, implicitement, militaire. Pire, cette prise de distance vire à l’hostilité ouverte. Donald Trump prophétise l’effondrement civilisationnel de l’Europe, reprenant la rhétorique de l’extrême droite. Nous sommes désormais sommés d’acheter leur matériel militaire — potentiellement inopérant sans leur aval — et leur énergie, tout en subissant une guerre commerciale. L’affaiblissement du dollar (-10 % en un an) agit comme une taxe douanière déguisée, imposée sans contrepartie.
Pendant que Washington nous tourne le dos, la guerre russo-ukrainienne se joue sans l’avis des Européens, coincés entre deux empires. Sur le front économique, la désindustrialisation s’accélère face à un tsunami de produits chinois sophistiqués qui dynamitent nos entreprises. Quant à l’intelligence artificielle, la messe est dite : faute d’en être les concepteurs face aux géants américains et chinois, nous sommes condamnés au rôle de simples consommateurs numériques.
L’Europe se morcelle sous l’effet de forces centrifuges. De la Pologne à la Hongrie, les dissidences se multiplient. Les moteurs historiques calent : le pouvoir français est discrédité et l’Allemagne vacille sous la pression de l’AfD. Nous perdons la bataille de l’innovation, de la vérité et de la cohésion sociale, laissant le champ libre aux ingérences étrangères qui financent le populisme via des mécanismes d’extraterritorialité.
Face à cet ouragan, la réponse institutionnelle est inexistante. La Commission européenne est devenue une tour de Babel technocratique, éclatée en une myriade de compétences contradictoires. Elle multiplie les revirements spectaculaires, passant sans transition du tout écologique à la panique industrielle, sans jamais avoir le courage d’appliquer le rapport Draghi.
Cette Commission, perçue comme un Olympe bureaucratique, subit désormais la rancune des peuples.
Il faut se rendre à l’évidence : la Commission actuelle ne possède plus, à tout le moins dans l’univers des empires autocratiques, la légitimité représentative qu’elle a pu incarner par le passé.
L’heure n’est plus aux ajustements, mais à la rupture. Il est impératif d’envisager une nouvelle représentation, incarnée par une visionnaire ou un visionnaire capable d’imposer des consolidations industrielles et une défense commune. Mais au-delà de la stratégie, ce sursaut ne sera possible que si nous parvenons à préserver l’essentiel : la noblesse de nos valeurs politiques.
Loin d’être une fatalité, ce choc existentiel doit être le catalyseur d’une renaissance. L’Europe conserve les ressources intellectuelles et morales pour refuser la vassalisation. Il ne manque que l’audace politique pour briser les carcans nationaux, bâtir une souveraineté industrielle et militaire réelle, et opposer la dignité de nos valeurs à la brutalité des empires. Le déclin est un choix, le redressement est une volonté : saisissons cette ultime chance pour réaffirmer la puissance et la pertinence du projet européen.