Rudy Aernoudt

L’Europe dérégule, l’Amérique tarifie et la Chine anticipe

Nous connaissons tous l’adage : l’Europe régule, l’Amérique innove et la Chine imite. Eh bien, cet adage ne correspond plus à la réalité. En effet, l’Européen est sous le charme du rapport Draghi, l’Américain de la guerre tarifaire volatile, et le Chinois ne fait plus confiance à tout cela et épargne.

L’Europe dérégule. Dans le sillage du rapport Draghi, la Commission européenne a lancé son “omnibus”, métaphore du train qui s’arrête partout et qui fait référence à l’opération de grande envergure lancée en Europe visant à passer en revue toutes les lois et directives pour voir si elles peuvent être simplifiées et/ou si leur champ d’application peut être restreint. Attention, il s’agit d’une simplification. Le mot dérégulation reste pour l’instant tabou. Exemples : le respect des valeurs européennes ne doit plus être contrôlé chez les sous-traitants, le rapport de durabilité n’est plus requis pour les PME, etc. Étrangement, les enquêtes montrent que la grande majorité des entreprises sont mécontentes de ces simplifications. Probablement les mêmes qui – à juste titre selon moi – se plaignaient de la sur-réglementation européenne…

L’Amérique tarifie, alors qu’elle était autrefois une fervente défenseure du libre-échange. Le Canada, le Mexique, la Chine et l’Europe sont tour à tour pris pour cibles. À chaque fois de la même manière. D’abord, vanter de lourds tarifs, puis, temporairement, conclure un accord sur des droits de douane plus bas. Les tarifs devraient générer des recettes pour le Trésor. On oublie cependant que ceux-ci sont inflationnistes et freinent la croissance. Plusieurs études montrent que l’introduction de tarifs touche surtout l’économie américaine. Dans le pire des cas, les bénéfices des entreprises pourraient chuter de 47%. Et l’Américain moyen perdre 2.800 dollars de pouvoir d’achat par an à cause de l’inflation induite.

La Chine anticipe. Après la forte baisse des prix de l’immobilier, jusqu’à 40%, les Chinois voient désormais l’avenir en noir et se mettent donc à économiser – les carnets d’épargne débordent de dépôts : 20.000 milliards d’euros, soit 118% du PIB chinois – devenant ainsi les plus grands épargnants du monde. La “génération sandwich” qui, suite à la politique de l’enfant unique, doit s’occuper à la fois de ses parents et de ses enfants, dépense le moins possible. Les soins médicaux (pour les parents) sont extrêmement coûteux et le rêve de tout Chinois est d’envoyer son enfant dans une université de premier plan, de préférence anglaise ou américaine. Ces deux éléments font que les Chinois anticipent les dépenses futures. Couplé à leur méfiance envers une pension suffisante, cela conduit à un comportement d’épargne jamais vu… Ce qui entraîne une baisse de la consommation (et une déflation) que les baisses successives des taux d’intérêt – le taux officiel est maintenant de 1,4% – ne parviennent pas à enrayer. Le faible taux d’intérêt affecte par ailleurs la rentabilité des banques, de nombreux établissements locaux étant déjà en difficulté. Et les économistes parlent de zombification de l’industrie, qui accumule trop de dettes en raison des taux bas…

Le risque systémique d’une récession mondiale agit comme une sorte de domino qui part de la Maison Blanche et pourrait bien revenir comme un boomerang.

En conclusion, l’Amérique se protège derrière un mur de tarifs imprévisibles et en constante évolution. De ce fait, pour rester compétitive, l’Europe commence enfin à déréguler. Et l’impact négatif provoque une panique parmi la population chinoise, qui anticipe les dépenses futures et ne consomme donc plus, mais épargne. Le risque systémique d’une récession mondiale agit alors comme une sorte de domino qui part de la Maison Blanche et pourrait bien revenir comme un boomerang.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content