Typhanie Afschrift

Les milliardaires sont-ils inutiles?

Typhanie Afschrift Professeure ordinaire à l'Université libre de Bruxelles

Le fondateur du groupe de “fast fashion” Inditex est sans doute plus “social” lorsqu’il cherche à réaliser des bénéfices que lorsqu’il donne à sa Fondation des moyens de défendre certaines causes, comme il le fait aussi.

On entend de plus en plus souvent la rengaine: les milliardaires seraient inutiles et il faudrait les “supprimer”. On espère que cela veut seulement dire qu’il faut réduire leur fortune pour qu’elle soit inférieure à un milliard… A vrai dire, cette revendication, venant évidemment de gauche, est plutôt surprenante: on pourrait s’attendre à ce que les défenseurs des plus pauvres revendiquent qu’il y ait moins de pauvres, et non qu’il y ait moins de riches.

Certes, dans leur esprit, les deux questions vont de pair. Parce que pour eux, il “suffit” de donner aux pauvres ce qui appartient aux riches pour régler la question. A supposer que ce soit possible, c’est une manière de raisonner en termes de “stock” (les fortunes) et d’oublier que la question principale est celle des “flux” (les revenus). Même si l’on égalisait de manière autoritaire la fortune de chacun, l’usage des libertés d’agir ou de ne pas agir aurait comme conséquence que quelques minutes plus tard, les différences, que certains s’obstinent à appeler les “inégalités”, apparaîtraient de nouveau. Et l’on sait par ailleurs que l’égalisation a comme conséquence que sans accumulation de capital, l’économie ne fonctionne plus, sauf à la manière soviétique…

“Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt. ”

La base du raisonnement pour l’“élimination” des milliardaires est que ces personnes “ne servent à rien”. Voilà encore un préjugé idéologique évident. Cela part de l’idée que nous vivrions avec une espèce de “fonction sociale”, qu’il faut “servir”. On ne nous dit pas qui il faudrait ainsi servir… Le prochain, selon les religieux. Les pauvres, selon certains. Ceux que l’Etat vous ordonne de servir, selon la plupart des prétendus progressistes d’aujourd’hui qui prêchent la “solidarité”, c’est-à-dire une solidarité contrainte au profit de la clientèle de ceux qui sont au pouvoir, quel que soit le régime.

C’est ce que la romancière et philosophe américaine Ayn Rand appelait l’être humain réduit à un rôle d’animal sacrificiel. Il ou elle n’existerait que pour sacrifier sa vie au profit des autres, sans même pouvoir choisir les bénéficiaires de ce sacrifice. On peut évidemment comprendre qu’il y a plus de raisons d’admirer celui qui rend d’autres personnes heureuses, plutôt que de tout garder pour lui. Mais pourquoi faudrait-il que ce sacrifice soit obligatoire, qu’il vaille mieux donner sous la contrainte qu’être simplement généreux par sa philanthropie, et que les bénéficiaires de nos actes solidaires soient choisis par une Eglise ou un Etat?

Et d’ailleurs, faut-il vraiment considérer que les milliardaires sont inutiles – ou à tout le moins qu’ils le sont tous? On peut prendre l’exemple d’Amancio Ortega, le fondateur d’Inditex, qui regroupe plusieurs marques, dont Zara est la plus connue. On peut critiquer ou non son concept mais parti d’une seule boutique dans sa ville natale de La Corogne, ce détaillant espagnol donne actuellement du travail à 144.000 employés, en ne comptant que les salariés directs de la seule firme Zara. Peut-on vraiment dire qu’il est inutile?

C’est un nouvel exemple de ce qu’Adam Smith disait déjà dans une phrase restée célèbre: “Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme”. Oui, Amancio Ortega est sans doute plus “social” lorsqu’il cherche à réaliser des bénéfices que lorsqu’il donne à sa Fondation des moyens de défendre certaines causes, comme il le fait aussi.

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