Paul Vacca

Les milliardaires sont-ils des superhéros?

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

“Passé un certain nombre, la quantité devient qualité”, écrivaient Karl Marx et Friedrich Engels, qui en connaissaient un rayon côté capital. Et il est vrai que, passé un certain niveau de fortune, lorsque l’on parle en dizaines ou en centaines de milliards, il devient proprement impossible de se figurer ce que cela représente concrètement. Ce sont des montants littéralement inconcevables. Comment, en effet, matérialiser 380 milliards de dollars de fortune, comme dans le cas d’Elon Musk ? Même en se disant que cela représente un “gain” de 15.370 dollars par minute depuis sa naissance (il est né en 1971) ou plus de 800.000 vies de salarié moyen pour atteindre une telle fortune, cela reste totalement abstrait.

Les Anglo-Saxons ont forgé un acronyme pour désigner les ultra-riches : les UHNWI pour Ultra High Net Worth Individuals, comme pour attester que ces individus vivent dans une autre dimension par rapport au commun des mortels. À ce stade, cela n’est plus une question de degré, mais de nature. Et même de super-nature car les vies des ultra-riches prennent dans nos imaginaires contemporains des allures de récits super- héroïques. Chassez les chiffres abstraits, le storytelling revient au galop.

On connaît par exemple la gémellité narrative entre Elon Musk et Tony Stark alias Iron Man. L’équipe de Marvel, lors du développement du premier Iron Man en 2008, s’est d’ailleurs largement inspirée de l’entrepreneur-ingénieur-visionnaire-excentrique pour façonner le personnage de Tony Stark, joué par Robert Downey Jr. Pour Jeff Bezos, ce serait plutôt Bruce Wayne alias Batman, car comme lui il a bâti un empire financier, tout en investissant dans les industries de la tech (Blue Origin ou AWS), avec la même discipline implacable et le même sérieux que Batman.

Mais la question serait plutôt de savoir si aujourd’hui, dans le monde super-héroïque, ils n’endosseraient pas un autre costume : celui des super-vilains. Car, pour un Bill Gates qui semble encore en quête d’un bien commun à travers ses actions philanthropiques (une sorte de Reed Richards alias Mr. Fantastic), les Musk, Bezos ou Zuckerberg apparaissent plus enclins à s’inspirer de personnages à l’hubris débridé. Zuckerberg fait un bon alter ego de Lex Luthor (l’ennemi de Superman), génie de la tech contrôlant une immense quantité d’informations comme la LexCorp, le conglomérat fictif de Luthor. Et le Musk dernière version est plus crédible en Magnéto, le méchant mutant chez X-Men, adepte du magnétisme, habité par le même agenda halluciné de prise de contrôle de tous les pouvoirs par la technologie (SpaceX ou Neuralink), par le même caractère autoritaire et déterminé (chez Twitter et aujourd’hui avec le DOGE.) et la même envie de tordre les idées des humains (sur son réseau X) ,comme Magnéto le fait avec les métaux…

Est-ce que, dans le monde super-héroïque, les milliardaires actuels n’endosseraient pas plutôt le costume des super-vilains ?

Mais peut-être faut-il savoir raison garder, comme le montre François-Xavier Dudouet dans un article sur le site The Conversation, “Et si les milliardaires n’étaient pas aussi puissants qu’on le croit ?” Le directeur de recherche en sociologie des grandes entreprises à l’Université Paris Dauphine y déconstruit le mythe tenace de la toute-puissance sans contrôle des milliardaires. Non seulement leur fortune est en grande partie théorique, dans le sens où elle est indexée sur la valeur de leurs actions cotées en Bourse (et ne pourrait être réalisée qu’au prix d’un effondrement des cours), mais encore la cagnotte théorique de l’ensemble des milliardaires ne représente “que” 13% de la capitalisation boursière mondiale.

Il s’agit donc d’une toute-puissance virtuelle. Reste que leur capacité à nous y faire croire est, en revanche, un superpouvoir bien réel. 

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