Paul Vacca

Les milles et un miroitements et mirages de l’IA

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

En dépit de leur profusion et de leur diversité apparente, les discours suscités par l’émergence de l’intelligence artificielle procurent l’impression commune d’avoir été produits (à la manière des textes générés par ChatGPT) par du machine learning et des prompts. Au fil des prises de positions pro ou anti, techniciennes ou philosophiques, optimistes ou apocalyptiques, du “grand remplacement robotique” ou de l’”homme augmenté”, tous ces discours apparaissent le plus souvent conditionnés par les intérêts de chaque émetteur. Chaque intervenant modèle son IA en fonction de sa vision du monde et de son agenda économique ou politique. Donne-moi ta définition de l’IA et je te dirais qui tu es…

Il est donc rafraîchissant de voir paraître en librairie un essai qui déroge à cette règle et qui s’intéresse à l’IA pour elle-même. Signé Laura Sibony, enseignante à Science Po Paris, Fantasia (Grasset) invite ses lecteurs à une plongée passionnante et érudite au cœur de l’IA et de ses innombrables facettes technologiques, économiques, financières, sociétales, culturelles, politiques, philosophiques voire poétiques.

La clé d’entrée de Laura Sibony, c’est la force du récit : anecdotes, épisodes célèbres ou méconnus, succès éclatants ou échecs cuisants, micro-récits vécus, confidences, témoignages, contes et légendes constituent la chair même de cet essai comme autant de sésames nous offrant l’accès aux mille et un miroitements et mirages de l’IA.

Ouvrir “Fantasia”, c’est prendre place à bord d’un grand huit dans un espace non euclidien où les courbes s’affolent et les parallèles se chevauchent.

Une odyssée immersive au cœur de l’IA, tour à tour vertigineuse et cocasse, qui nous fait partager une partie d’échec avec Napoléon, découvrir le “Turc mécanique”, vivre le fantasme d’une machine qui reconnaîtrait sans faillir tous les fromages, déjouer les filtres, tricher pour infiltrer l’IA, assister aux Silly Valley Awards qui récompensent les fails les plus tragiques et parfois comiques de l’IA, comprendre les roueries des deepfakes (alias les “hypercheries”, le superlatif des supercheries) et les vicissitudes de la “véritude” à l’heure des réseaux sociaux… Un périple qui explore la face lumineuse de l’IA réhabilitant cette capacité perdue d’émerveillement face à la technologie tout en prenant le risque de s’aventurer dans les chausse-trapes de son côté obscur.

“Fantasia” est un essai qui se parcourt de rebondissements en surprises comme une série télé et qui dessine par petites touches narratives impressionnistes et parfois intimistes, la grande fresque de l’IA : un espace en expansion, bigarré, chatoyant et sombre, et tout en contradictions. L’ouvrir, c’est prendre place à bord d’un grand huit dans un espace non euclidien où les courbes s’affolent et les parallèles se chevauchent.

Mais toutes ces mini-narrations, pour jubilatoires et divertissantes qu’elles soient grâce au talent de conteuse de Laura Sibony, ne sont jamais innocentes pour autant. Chacune vient contrecarrer avec espièglerie les storytellings surplombants des géants de l’IA tout comme les prises de position effarouchées et dogmatiques de certains prétendus humanistes. Ainsi l’autrice rappelle-t-elle à ceux voient la fin du monde dans les deepfakes que, comme toute illusion depuis Descartes, les hypercheries peuvent aussi avoir pour vertu d’aiguiser notre esprit critique.

Tout est délicieusement humain dans cet essai sur la plus grandiose aventure technologique de notre temps. Et plus que tout, deux remarquables qualités de l’autrice, qui fonctionnent comme des captchas, attestant qu’aucune machine n’aurait été capable d’envisager un tel livre : l’humour et la curiosité.

L’intelligence artificielle est présente dans la plupart des secteurs, ou presque, avec ses partisans et ses détracteurs, mais quel est son impact?

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