Rudy Aernoudt
Les critères ESG sont-ils réellement utiles?
La philosophie ESG est éminemment louable. Le tout est de savoir si, à ce stade de l’obsession, elle contribue réellement à l’émergence d’une société plus durable.
Remettre en question la philosophie ESG (environnementale, sociale, de gouvernance) revient à blasphémer dans une église. Les investissements non conformes aux critères ESG ne trouvent plus de financement. Pas moins de 85% des investisseurs intègrent l’ESG dans leurs processus d’analyse. Au point d’en arriver à une sorte d’ESG-mania?
L’ESG est devenu un mode de pensée à part entière. Le succès remporté par cette vision est incroyable. Toutes les sociétés, du moins les grandes, consacrent un chapitre de leur rapport annuel à leur comportement ESG et, s’il existe, au score qui le sanctionne. Celles qui ont fait preuve de laxisme sont immédiatement pénalisées, celles dont la note est élevée sont récompensées par l’investisseur. Autorisez-nous toutefois ces quelques réflexions critiques.
Tout d’abord, la philosophie ESG et l’élaboration de modèles de notation sophistiqués sont devenues une affaire de gros sous. Septante entreprises commercialisent un système de notation ESG ; certains de ces modèles sont extrêmement simples, d’autres, complexes. La méthode d’évaluation de Bloomberg, par exemple, cote 120 critères, celle de Thomson Reuters, 178.
Mais quiscustodiet ipsos custodes? (qui garde les gardiens? ) Rappelons que lorsque le scandale du dieselgate a éclaté, Volkswagen bénéficiait d’une excellente note ESG ; bpost, dont la gouvernance exécrable a récemment été mise au jour, fait partie de l’indice Bel ESG qui regroupe les 20 entreprises ayant les meilleures pratiques en matière d’environnement, de société et de gouvernance. Apparemment, mesurer n’est pas toujours savoir.
Les entreprises n’ont d’autre choix que d’adhérer à la philosophie ESG. Ce qui favorise greenwashing et pinkwashing
Ensuite, vu l’obsession ambiante, les entreprises n’ont d’autre choix que d’adhérer à la philosophie ESG. Ce qui risque bien de favoriser greenwashing, pinkwashing et autres procédés destinés à donner de soi une image progressiste et engagée, auquel cas les critères ESG tiendraient davantage de l’outil marketing que du reflet du comportement responsable des firmes.
On peut enfin se demander si tout ce ramdam contribue réellement à l’objectif d’un modèle durable, respectueux de l’environnement, socialement responsable et bien géré. J’ai rarement vu des directions se déclarer indifférentes à l’égard de l’écologie ou des femmes.
Pour autant, toutes les normes ESG ne sont pas respectées: si 87% des fonds de capital-risque interrogés à l’occasion d’une analyse pratiquée en Europe ont déclaré intégrer les considérations ESG dans leur processus d’investissement, 94% ont reconnu ne pas tenir compte du genre. Le genre est pourtant un critère ESG. La plupart des notes ESG étant attribuées sur la base d’un examen des rapports, elles admettent sans sourciller cette absence de prise en compte.
Nous vivons dans une société stigmatisante, où l’on est presque gêné de prendre l’avion.
Que les entreprises doivent se préoccuper de l’environnement tombe sous le sens. Que la manie ESG contribue à la réalisation de cet objectif reste à prouver. Mais nous vivons dans une société stigmatisante, où l’on est presque gêné de prendre l’avion, où nul n’oserait plus assortir une offre d’emploi d’un “H/F” au lieu d’un “H/F/X”.
La philosophie ESG est éminemment louable. Le tout est de savoir si, à ce stade de l’obsession, elle contribue réellement à l’émergence d’une société plus durable ou ne constitue pas plutôt un énième exemple de l’avènement d’un capitalisme woke qui considère jusqu’à preuve du contraire les entrepreneurs comme des pollueurs et des exploiteurs.
Mais peut-être qu’à l’image de ce qu’il en avait été des dot.com, la bulle ESG finira par éclater et les entreprises en reviendront à l’essence même de leur objectif qu’est la création de richesse, dans le respect des personnes et de l’environnement.
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