Philippe Ledent

L’efficience vaut aussi pour les dépenses militaires

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

Lors du sommet de l’Otan à La Haye, il a été décidé de porter les dépenses de défense à au moins 5 % du produit intérieur brut d’ici à 2035. Mais derrière cette décision se cachent beaucoup de nuances, tant politiques qu’économiques.

L’Europe a longtemps eu peu à craindre des menaces de guerre, ce qui a conduit à une réduction systématique des dépenses de défense depuis les années 1990 pour atteindre un plancher d’à peine 1,1 % du PIB en 2014, alors que la norme de l’Otan était de 2 %. En d’autres termes, un environnement géopolitique plus calme et la protection américaine permettaient de soulager les finances publiques. Mais depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la prise de conscience que l’on ne peut plus compter automatiquement sur le parapluie de défense américain, la pression pour augmenter les dépenses de défense s’est fortement accrue en Europe. Cela a abouti, comme le sait, à l’ambition de porter cette part de dépenses liées à la défense à 5 % d’ici à 2035, dont 3,5 % pour les dépenses directes de défense et 1,5 % pour les infrastructures critiques et l’innovation.

Pour être clair, il s’agit de sommes énormes, particulièrement pour certains pays. Sachant qu’économiser 0,1 % ou 0,2 % du PIB est déjà un gros problème en Belgique, il est clair qu’une augmentation annuelle des dépenses de défense d’environ 0,3 % du PIB sera une tâche énorme. La Commission européenne a beau dire qu’elle fermera les yeux sur ces dépenses de défense supplémentaires dans son suivi budgétaire, cela ne vaut que jusqu’en 2028. Ensuite, les règles budgétaires seront à nouveau appliquées de manière stricte.

Comment cela affectera-t-il l’économie ? Dans la logique keynésienne, on pourrait penser que des dépenses supplémentaires pourraient également stimuler la croissance économique. Mais il ne faut pas exagérer cet argument et ce pour deux raisons. D’une part, si une partie des dépenses de défense supplémentaires sera financée par de la dette, dans un certain nombre de pays, la précarité des finances publiques obligera à réduire d’autres dépenses pour augmenter les dépenses de défense. L’effet de l’augmentation des dépenses de défense pourrait alors être très décevant. D’autre part, sur l’ensemble des armes données à l’Ukraine par l’Union européenne, 78 % ont été importées de l’extérieur de l’Union européenne. Cela montre que l’Europe n’est pas un acteur majeur de la défense. Le devenir permettrait au moins d’augmenter l’effet macroéconomique des dépenses militaires, mais une fois de plus, encore faut-il que cela ne se fasse pas au détriment d’autres secteurs.

Sur le plan économique, le secteur de la défense ne peut pas être soustrait à un contrôle strict d’efficacité des dépenses engagées.

Concrètement, la Commission européenne estime qu’en raison des dépenses prévues, la dette publique des pays d’Europe sera supérieure de 2 points de PIB à la fin de 2028. Mais l’impact sur le PIB ne sera que de 0,5 % au total. Cela représente environ 0,1 point de pourcentage de croissance économique supplémentaire par an jusqu’en 2028. Ce n’est pas rien, mais il n’y a pas de quoi s’extasier non plus.

Bref, dans le monde d’aujourd’hui et de demain, les dépenses militaires et l’existence d’un secteur de la défense sont probablement indispensables. Mais sur le plan économique, ce secteur et ces dépenses ne peuvent pas être soustraits à un contrôle strict d’efficacité des dépenses engagées, comme devraient l’être d’ailleurs toutes les dépenses publiques. C’est un impératif budgétaire, mais aussi la moindre des choses que les contribuables sont en droit d’exiger.

Suivez Trends-Tendances sur Facebook, Instagram, LinkedIn et Bluesky pour rester informé(e) des dernières tendances économiques, financières et entrepreneuriales.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content