Bruno Colmant
L’écologie et les marchés financiers : que de questionnements
Nous ne pouvons plus dissocier, ainsi que je l’ai erronément cru trop longtemps, l’économie et l’écologie, car l’âpreté de la consommation et de l’enrichissement entraîne un saccage de la nature. Ceci n’est pas encore intégré dans les marchés financiers dont les rendements exigés et l’horizon de temps semblent incompatibles avec les limites planétaires.
L’écologie économique a, en effet, mis en exergue l’insoutenabilité écologique du mode actuel de production et de consommation. Comment concilier une planète dont la croissance naturelle est de 2-3 % (ce que des penseurs moyenâgeux avaient assimilé au taux d’intérêt naturel, en référence à la croissance moyenne annuelle des végétaux) alors que le capital exige une prime de risque de l’ordre de 10 % ? L’économiste américain Kenneth Boulding (1910-1993) aurait dit à cet égard: « anyone who believes that exponential growth can go on forever in a finite world is either a madman or an economist ».
Je crains que l’exponentialité de la croissance entraîne une instabilité du système. L’économie financière traditionnelle ne valorise pas les ressources primaires (l’eau, l’air, etc.), mais seulement le coût de leur extraction ou transformation. Les circuits économiques sont partiellement fondés sur des stocks de ressources primaires de valeurs nulles (ou de quantités présumées infinies), ce qui conduit à ne pas intégrer leur disparition et l’anéantissement écologique.
On peut s’interroger sur le fait de savoir pourquoi ces marchés financiers n’intègrent pas ces risques environnementaux de nature systémique. Les marchés financiers, qui n’ont pas de conscience environnementale, seraient-ils incapables d’assimiler la notion de temps ? Est-ce une imperfection financière ? Une divergence de temporalités, c’est-à-dire d’horizon de temps ? Les marchés financiers traitent-ils correctement les échelles de temps ? Les marchés n’arrivent-ils pas à intégrer quelque chose que leurs intervenants ne comprennent ou n’anticipent pas, ce qui serait pourtant contraire à leur efficience, dûment documentée théoriquement et empiriquement ? Les marchés financiers auraient-ils déjà soustrait ce qui est relatif à une certaine espérance de vie ? Si nous soustrayons les coûts environnementaux de la valeur des marchés financiers, nous ne vivrions alors qu’un « délai » financier, avant qu’un krach financier ne précède le krach écologique ?
Par myopie ou presbytie, et surtout faute de pouvoir trouver une autre affectation au capital, les marchés financiers entretiennent-ils donc une illusion de pérennité ? Ou bien, les marchés anticipent-ils une extraction croissante des ressources naturelles dans une dernière pulsion de mort et d’exploitation dystopique des travailleurs ? Car, si plus rien ne vaut rien dans un cataclysme environnemental et social, la valeur n’est plus. Le constat est métaphysique et il tiendrait alors à l’impossibilité radicale du système à intégrer la mort du monde parce qu’elle est alors sienne.
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