Amid Faljaoui
Le télétravail, Pavlov et la petite fille de Louis de Funès
J’adore cette sublime phrase de l’écrivain américain Ryan Holliday : « Il faut ralentir pour accélérer ». Manière imagée de dire que c’est en prenant du recul que l’on peut mieux avancer.
Qui n’a pu constater les bienfaits de quelques jours de repos après lesquels nous revenons bardés de bonnes idées et de nouveaux projets ? Justement ce recul des vacances m’a permis de lire un livre sur l’impact sociétal des technologies et dans lequel, Julia de Funès (petite fille de l’acteur Louis de Funès), une philosophe spécialisée dans les problématiques d’entreprises, écrit des choses brillantes. Et ce qu’elle écrit sur le télétravail va à rebours des lieux communs habituels.
Comme nous sommes à quelques jours de la rentrée, les questions sur la pertinence du télétravail vont à nouveau ressurgir. Le poncif habituel consiste à dire que le télétravail entame « l’esprit collectif ». Mais selon Julia de Funès, c’est faux. Selon elle, le télétravail… renforce le collectif. Bien entendu, organiser ces moments collectifs est plus compliqué avec le télétravail, mais ce dernier ne l’empêche pas ! D’abord, parce qu’en Belgique, rares sont les personnes à travailler 5 jours sur 5 en télétravail. Ensuite, parce qu’il faut rappeler que le présentiel n’a jamais garanti un collectif fort. Il n’y a qu’à regarder ces grandes surfaces de bureau (OPEN SPACE) où les employés sont à un mètre et demi de distance des uns des autres et préfèrent s’envoyer des mails (!) pour ne pas déranger l’ensemble du plateau. Ce qui revient « à faire du télétravail en présentiel » comme le souligne la philosophe Julia de Funès.
Et puis, l’autre attrait du télétravail, c’est qu’il rend désirables les rencontres en présentiel. Comme elle le dit, le fait d’être privé de l’autre attise les retrouvailles. Pour s’en convaincre, il suffit de se souvenir du plaisir que les gens avaient de se retrouver après avoir été confinés plusieurs mois ou plusieurs semaines. D’ailleurs, les amoureux le savent bien : « qui suit l’amour, l’amour le fuit, et qui fuit l’amour, l’amour le suit ».
En fait, comme l’affirme Julia de Funès, quand un cadre dirigeant sait qu’il ne pourra pas voir tel employé plus d’une ou deux fois par semaine, cela l’oblige à avoir des réunions plus efficaces. Autrement dit, le télétravail peut redonner de la vigueur, de l’intérêt et de l’efficacité aux moments collectifs. Enfin, vous m’avez compris, uniquement quand tout cela est bien géré. Et c’est tant mieux, car c’est l’une des leçons de ce fichu virus : les employeurs doivent davantage prêter de l’attention aux gens, donc à l’humain, car justement c’est devenu une ressource rare.
Par ailleurs, comme l’ajoute Julia de Funès, au-delà des avantages classiques du télétravail, comme le gain de transport, son avantage principal réside dans le fait qu’il est une « libération psychologique » . Motif ? Depuis des années, les entreprises sont des blocs de verre, elles sont totalement transparentes, tout est visible en permanence, et donc, les gens jouent le jeu de la transparence, ils sont dans la théâtralité. Julia de Funès l’écrit elle-même, « il suffit de se savoir visible pour agir comme si nous étions vus. Ce qui explique une grande part de comédie humaine, de théâtralité qui se joue encore dans les entreprises ». Aussi étonnant que cela puisse paraître, le télétravail va atténuer cette part de comédie humaine, de jeu social.
A contrario, le télétravail va en réalité accentuer une culture du résultat ! En d’autres mots, peu importe mon look, mon lieu et mes horaires, ce qui compte, c’est le résultat de mon travail. Selon Julia de Funès, le télétravail rend plus authentique et professionnalise les relations au travail. Bien entendu, une partie des lecteurs et lectrices ne partageront sans doute pas la vision de Julia de Funès. Mais l’important, c’est que son discours force à réfléchir et aller au-delà des poncifs habituels. Pavlov n’est pas utile pour gérer une entreprise !
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