Paul Vacca

Le pourri est-il l’avenir du genre humain ?

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

C’est l’histoire d’un vilain virus qui nous a précipités dans les bras de gentilles bactéries. Souvenez-vous, il y a tout juste cinq ans, alors que la pandémie nous imposait des confinements, certains d’entre nous se rêvant en nouveaux Robinson découvraient les bienfaits du pain au levain, du kombucha, du kéfir ou autre compost.

Le point commun à toutes ces choses ? Être le fruit de la fermentation et de l’action des micro-organismes, bactéries ou de levures. Depuis, la popularité de ces produits fermentés n’a cessé de progresser dans nos espaces urbains technologiques et le mot “microbiote” est devenu un locataire permanent des pages glacées des magazines féminins à la rubrique beauté, bien-être, voire luxe.

C’est ce tsunami de la fermentation qu’analyse Anne-Sophie Moreau dans son passionnant essai Fermentations – Kéfir, compost et bactéries : pourquoi le moisi nous fascine paru aux éditions du Seuil. La philosophe et journaliste, cofondatrice de Philonomist et rédactrice en chef à Philosophie Magazine, y explore toutes les facettes du retour en force du “moisi” dans notre société aseptisée comme sources de régénération individuelle et collective. Car il ne s’agit pas seulement d’un effet de mode de quelques jeunes néoruraux convertis aux bocaux fermentés, à la végétation sous cloche, à la microbrasserie ou qui élèvent et prénomment leur levain Karl.

Nous vivons une “révolution post-pasteurienne” où notre vision du vivant a muté.

C’est en réalité le signe d’un changement de paradigme culturel doublé d’un virage à 180° dans notre géopolitique intime : alors que depuis Louis Pasteur, les micro-organismes constituaient les ennemis à abattre dans une logique d’asepsie et de contrôle via la pasteurisation ou la stérilisation, aujourd’hui, les bactéries, levures ou moisissures sont devenues nos alliées n’étant plus associées à la maladie ou à la dégénérescence, mais au contraire à la vie et à la santé.

Nous vivons une “révolution post-pasteurienne” où notre vision du vivant a muté : loin de chercher à tout désinfecter ou à assainir, nous cultivons désormais les “bonnes” bactéries dans les aliments pour une régénération intérieure, mais aussi sur notre peau avec des crèmes, des vêtements, accessoires ou mobilier en mycélium, ou dans notre jardin. Pour Anne-Sophie Moreau, cela reflète une acceptation du corps humain comme écosystème partie prenante du grand Tout, en opposition à l’idéal d’un corps purifié et artificiellement préservé, hérité de l’ère pasteurienne. Ainsi les pratiques fermentatives sont-elles devenues le moyen de régénérer nos corps tout en repensant notre rapport au vivant. D’où ce désir de symbiose avec la nature où le “pourri” devient la métaphore d’un retour à l’humus et à une forme de vie cyclique et durable.

Au-delà de notre corps, cela augure plus largement d’une nouvelle façon de penser notre corps social également en réponse à la crise écologique et à l’épuisement des ressources. La philosophe nous invite à ne pas y voir un simple retour nostalgique aux pratiques préindustrielles, mais le ferment de nouveaux modèles capables de régénérer nos pratiques. De la cosmétique à l’économie, du design à l’architecture, et jusqu’à nos modes d’organisation qui gagneraient à être plus rhizomiques et souples que rigides et hiérarchiques.

Attention, ce livre bouillonnant d’érudition joyeuse, mûri par de puissantes réflexions et à l’humour pétillant, risque de provoquer chez vous une intense effervescence neuronale. Car Anne-Sophie Moreau vous plonge au cœur d’un alambic d’aventures intellectuelles et entrepreneuriales qui racontent l’ampleur de ce nouveau métabolisme sociétal, ferment des nouvelles dynamiques : un pour tous et tous pourris !

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