Bruno Colmant
Le pataquès d’une taxation des plus-values ?
Il est indéniable qu’un rééquilibrage fiscal en faveur d’une détaxation du travail est indispensable, et que c’est la raison pour laquelle de nombreux partis politiques plaident, à juste titre selon moi, pour une re-globalisation des revenus à l’impôt des personnes physiques.
C’était l’idée, finement pensée, du législateur de 1962 qui a conduit à l’élaboration du Code des impôts sur les revenus. Et ce titre dit tout : on ne taxe pas les plus-values en Belgique (sauf de rares exceptions) parce que les revenus sont fortement taxés. Le travail est rapidement marginalement taxé à 50 %, tandis que les dividendes d’actions sont taxés à l’impôt des sociétés plus au précompte mobilier (à majorer de précomptes étrangers), soit un taux très proche de 50 %.
Si on s’intéresse aux dividendes, il est vrai que la hausse des bourses a créé des plus-values qui ne sont pas imposées. Mais celles-ci reflètent le risque de l’investissement et surtout reflètent une augmentation attendue des dividendes passés ou futurs qui seront taxés à 50 %.
Il est néanmoins compréhensible que la taxation des plus-values émerge. Il se trouve que c’est moi qui avais imaginé en août 2017 la taxe sur les comptes-titres à la demande de Charles Michel, alors Premier ministre. Plutôt que de taxer la réalisation d’une plus-value, il s’agissait de taxer le stock de valeurs mobilières. La taxe augmentait proportionnellement en cas d’acquisition de nouveaux titres ou d’une hausse des cours, et diminuait dans le cas inverse. Ainsi, les fluctuations du capital étaient imposées sur base des variations non réalisées des actifs. L’idée initiale était de taxer tous les comptes-titres à un taux de 5 points de base (0,05 %). Ce taux est finalement devenu 15 points de base (0,15 %) au-delà d’un million d’euros.
Mais aujourd’hui, il est question d’amplifier cette taxe et d’ajouter une taxation des plus-values. Je pourrais démontrer le caractère incorrect de cette dernière d’un point de vue financier, et j’ai toujours dénoncé son iniquité, car une taxation sur une plus-value est toujours une double taxation, puisqu’elle taxe le vendeur d’un titre alors que les dividendes de ce même titre, en augmentation pour justifier la plus-value, seront taxés dans le chef de l’acheteur. Mais le cumul des deux taxes crée une triple taxation.
Prenons un exemple concret : imaginons un titre acquis pour 1 000 euros, dont le cours augmente à 1 200 euros. La taxe sur les comptes-titres s’applique alors sur 1 200 euros, soit 1,80 euro (0,15 % de 1 200). Ensuite, en cas de vente, si le taux de taxation des plus-values est de 10 %, une seconde taxe de 20 euros s’applique sur les 200 euros de plus-value. Le montant total des taxes s’élève donc à 21,80 euros. Même si le montant paraît modique (mais je n’ai pris qu’un taux de taxation de 10 %), ce calcul illustre bien l’effet cumulatif de ces deux taxes : une double imposition de la même matière, avec une plus-value non réalisée taxée une première fois via la taxe sur les comptes-titres, puis à nouveau lorsqu’elle est réalisée via la taxe sur les plus-values. Et évidemment, il ne faut pas croire qu’une action ne rapporte que des plus-values : à tout moment, la probabilité qu’un cours de bourse monte ou descende est exactement de 50 %.
De surcroît, il faut être attentif au fait que le niveau de risque est infiniment plus grand pour un entrepreneur qui investit tout son capital dans un seul projet que pour celui qui dispose d’un portefeuille diversifié. Mais il y a pire : seuls les contribuables qui prennent des risques en réalisant des placements cotés (notamment des fondateurs et entrepreneurs de projets) seront taxés, alors qu’un rentier qui n’a pas besoin de vendre ses titres échappera à la taxation des plus-values. Il en va de même pour les grandes participations de contrôle dans des sociétés belges d’envergure, inscrites au nominatif (et donc non soumises à la taxe sur les comptes-titres), qui peuvent être transmises par donation (dans le pire des cas) sans jamais devoir réaliser de plus-values.
De nombreux recours seront inévitables, d’autant plus qu’une taxation des plus-values concernera tous les actifs visés (actions, obligations, matières premières, cryptomonnaies, etc.) et même les titres nominatifs. Mieux vaut continuer à taxer à 33 % les plus-values spéculatives.
En tout état de cause, il ne faudra pas s’étonner de voir la Bourse de Bruxelles, qui n’a vu aucune mise en bourse en deux ans, devenir désertée — au point que le Palais de la Bourse, que j’ai eu l’honneur de diriger il y a longtemps —, ne soit finalement devenu… qu’un musée de la bière. Ce qu’il faut faire plutôt que de taxer, c’est de stimuler l’investissement par des mesures comme les intérêts notionnels, mesure certes imparfaite (je l’ai reconnu) que j’avais inventée et publiée en septembre 1999 dans le cadre de mon doctorat.
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