Paul Vacca
Le Marilyn Cinematic Universe
Un livre souligne ce continuum productiviste qui travaille Hollywood: celui qui a toujours consisté, aujourd’hui comme hier, à réduire le facteur humain à produire (ou plus exactement à reproduire) du déjà-vu.
Dans la nuit du 4 au 5 août 1962, Marilyn Monroe meurt seule à 36 ans dans sa villa dans le quartier de Brentwood à Los Angeles. A peine quelques heures plus tard, alors que la police est encore sur les lieux, dans les couloirs de Columbia Pictures, on aurait entendu le producteur Harry Cohn hurler: “Trouvez-moi une autre blonde!” The show must go on…
Fabrique à blondes
“Des blondes pour Hollywood – Marilyn et ses doubles”, un essai signé Adrien Gombeaud, auteur et critique cinéma, notamment pour Les Echos, publié par l’excellente maison d’édition Capricci, raconte comment Hollywood est devenu un temps cette fabrique à blondes. Comment a germé et s’est mis en place ce fantasme à la docteur Frankenstein de façonner dans les laboratoires de l’usine à rêves des blondes comme autant de clones de Marilyn: aussi sexy et drôles, mais au passage plus dociles et disciplinées que l’originale.
L’ouvrage retrace ainsi le destin de 10 actrices qui ont toutes en commun d’avoir été le fruit de ce clonage voulu par les tycoons d’Hollywood. Des plus connues comme Jayne Mansfield, Mamie Van Doren ou plus récemment Anna Nicole Smith en passant par d’autres dont la présence fut plus furtive dans la voie lactée cinématographique comme Diana Dors, Barbara Nichols, Corinne Calvet, Liz Renay, Joi Lansing, Barbara Payton et Sheree North.
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Autant de portraits servis par la plume érudite d’Adrien Gombeaud fourmillants d’anecdotes et qui nous offrent une plongée vertigineuse dans les coulisses de cette usine qui fabrique les rêves autant qu’elle les fracasse. Des portraits comme autant de chapitres d’un roman noir où l’on croise une galerie de prédateurs carnassiers et affamés qui chassent en meute la “blonde”, objet de toutes les concupiscences, graals peroxydés et siliconés, tout à la fois, idole, proie, produit, esclave et monstre de foire.
“Taylorisation” du fantasme
Si certaines sont parvenues à exister quelques décennies sur les écrans, d’autres, suivant jusqu’au bout leur modèle, ont vu leur vie brisée avant même d’atteindre la quarantaine. Pour elles, Sunset Boulevard ne pouvait être qu’une impasse. Car l’ambition de fabriquer de “nouvelles Marilyn” était fatalement vouée à l’échec: n’y avait-il pas dès le départ quelque chose d’irrémédiablement chimérique à penser pouvoir égaler celle qui était devenue par sa mort même une légende hors de portée autant que l’incarnation d’une époque révolue?
A travers cette taylorisation du fantasme, Adrien Gombeaud souligne ce continuum productiviste qui travaille Hollywood: celui qui a toujours consisté, aujourd’hui comme hier, à réduire le facteur humain à produire – ou plus exactement à reproduire – du déjà-vu. Aujourd’hui avec les franchises et les sequels, remakes, reboots et crossovers que l’on décline à l’infini dans des univers cinématographiques comme le Marvel Cinematic Universe. Et hier, avec ce MCU avant l’heure, le Marylin Cinematic Universe, où les actrices furent traitées comme des franchises, sacrifiées sur l’autel du capital et du spectacle.
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Des destins tragiques, forcément tragiques, donc. Pourtant, avec cet essai, Adrien Gombeaud réussit un miracle. Par leur sublime vitalité, ses portraits restituent à ces 10 femmes la part humaine que le destin leur a refusé. En les arrachant à l’ombre de Marilyn pour les remettre en pleine lumière, c’est sans doute le plus bel hommage qui pouvait leur être rendu: une spectaculaire revanche sur le destin. Car, récit après récit, toutes ces femmes, même dans leur chute, se montrent intensément héroïques, nous révélant enfin ce que chacune d’entre elles avait, à sa manière, d’absolument unique.
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