Paul Vacca
Le luxe et l’invasion des “super-faux”
Le marché mondial de la contrefaçon et des répliques des produits de luxe est estimé à 1,9 milliard de dollars. Une projection par essence sujette à caution: aucun faussaire ne publie ses résultats et de nombreux points aveugles existent, dont le nombre de faux échappant à la détection. Car les faussaires font tout autant preuve d’innovation que les maisons de luxe qu’ils piratent. Ils utilisent des techniques de plus en plus sophistiquées pour élaborer leurs avatars, comme la découpe au laser ou l’impression 3D. Au point qu’ils réussissent parfois à duper les créateurs mêmes du produit original. Un peu comme un faussaire qui parviendrait à glisser un tableau dans le catalogue d’un artiste sans que celui-ci ne s’en rende compte.
Pour qualifier ces répliques bénéficiant des dernières avancées technologiques, les professionnels parlent désormais de “super-fake”. Or, entre le faux et le super-faux, il n’y a pas seulement une différence de degré mais aussi de nature. L’écoulement des faux grossiers de la contrefaçon classique constitue un marché parallèle dans les échoppes borgnes du monde entier, sans lien réel avec la véritable clientèle de luxe, celle qui se fournit dans les flagship stores de luxe de l’avenue Montaigne à Paris, de la Toison d’Or à Bruxelles ou dans les Rues-Basses à Genève.
Mais les super-faux, eux, sont à même d’infiltrer la clientèle de luxe notamment via les sites de revente haut de gamme comme le Sellier (Londres) ou Closet (Genève), qui écoulent des sacs et des accessoires de luxe à une clientèle du monde entier.
La technologie à la rescousse
Et la riposte à cette attaque des super-faux technologiques ne peut être que technologique. Par l’IA par exemple. Certes, l’authentification experte humaine permet encore d’écumer une grosse partie des faux classiques (l’odeur du cuir, le piqué d’une couture, etc. ) mais il existerait encore 15% de marge d’erreur par rapport aux super-faux, explique Hanushka Toni, la fondatrice de Sellier, dans un entretien donné à HTSI, le supplément luxe du Financial Times. Ce qui est évidemment beaucoup trop pour des sites qui cherchent à construire un lien de confiance par rapport aux plateformes lambda où s’écoulent allègrement les contrefaçons.
Aux contrefacteurs physiques s’ajouteraient ceux du monde numérique. Avec des effets systémiques aux allures de boîte de Pandore.
D’où le recours à une application comme Entrupy, une IA qui a développé des capacités de reconnaissance en ingérant par deep learning des milliers de références de produits authentiques et contrefaits afin de se constituer une base de données. En scannant le produit avec un simple smartphone, le logiciel est capable de reconnaître des propriétés microscopiques du produit permettant de détecter des anomalies.
D’autres préconisent une approche plus radicale via une autre forme de technologie: celle de la blockchain. Insérer une empreinte NFT à même le produit lui assure dès la naissance une inviolabilité sur toute la chaîne d’approvisionnement, circuit de revente compris. Et épargne au passage des procédures de contrôle humain nécessairement chronophages et coûteuses…
Idéal sur le papier. Comme toute nouvelle technologie qui a vite fait de se prendre pour une panacée… Pourtant, cela comporte un risque d’ouvrir le champ à un autre type de pirates: les hackers. Aux contrefacteurs physiques s’ajouteraient ceux du monde numérique. Avec des effets systémiques aux allures de boîte de Pandore jetant la suspicion sur tous les produits d’une maison. Car un système qui se décrète infalsifiable l’est jusqu’à que quelqu’un soit parvenu à le falsifier. Selon une règle aussi vieille que le monde qui veut que quoi qu’on fasse, le prisonnier a toujours un temps d’avance sur le geôlier.
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