La stratégie américaine, sous l’impulsion de ses décideurs actuels, semble évoluer d’une guerre tarifaire vers une offensive monétaire concertée, transformant le dollar en une arme géopolitique redoutable. Ce plan, théorisé par des conseillers comme Stephen Miran, brillant conseiller de Donald Trump, vise à resserrer l’étau sur les partenaires des États-Unis à travers une série de mécanismes financiers et monétaires.
Pour être une devise universelle de transaction et soutenir ses exportations, le dollar doit structurellement rester faible. Ceci n’est que le reflet du paradoxe de Robert Triffin, cet économiste belge qui avait prévu, il y a plus d’un demi-siècle, l’insoutenabilité de l’étalon-or associé aux accords de Bretton Woods : une devise qui donne sa liquidité au reste du monde ne peut être que dévaluationniste.
Cette faiblesse limite également les importations américaines, complétant ainsi l’effet des droits de douane. Cette tendance est désormais activement recherchée par l’administration américaine pour maximiser les avantages compétitifs de ses entreprises, allant même jusqu’à exiger des investissements étrangers sur le sol américain lors des négociations.
La prochaine étape cruciale de cette stratégie consiste à subordonner la Réserve fédérale (Fed) au contrôle du pouvoir exécutif et du Trésor. Trois conséquences majeures en découleraient : une baisse drastique des taux d’intérêt à court terme, potentiellement en dessous du taux d’inflation, une forte augmentation des taux américains à long terme (les économistes parlent de pentification de la courbe des taux d’intérêt) et la contrainte pour la Fed d’acquérir massivement de la dette publique américaine.
Ces actions combinées entraîneraient donc une chute du dollar, la création d’inflation et une forte augmentation des taux d’intérêt à long terme, rendant le financement de la dette américaine plus complexe.
Face à ce défi, la stratégie américaine prévoit de contraindre ses partenaires à souscrire à des obligations américaines à très longue échéance, pouvant atteindre un siècle.
L’objectif, selon Stephen Miran, est de lier le financement des États-Unis à la protection militaire et aux accords commerciaux, une tactique déjà pressentie dans l’accord négocié en Écosse, qui apparaît instable et inabouti. L’idée est d’obtenir un financement quasi permanent en échange de garanties stratégiques, même si ces obligations pourraient, à terme, perdre toute valeur, à l’image des emprunts russes d’avant 1917.
Par ailleurs, les États-Unis exercent une influence quotidienne sur le système financier mondial via les swaps de devises avec les autres banques centrales, qui approvisionnent le monde en dollars. Ces échanges sont vitaux pour la sphère financière globale. Une fois le contrôle de la Fed acquis, ces swaps pourraient être modulés stratégiquement en fonction de la coopération de certains pays dans différents domaines (militaire, tarifaire, etc.). Les nations cherchant à rapatrier leur or détenu à la Banque Centrale de New York (près de 600 milliards d’euros) seraient ainsi lourdement pénalisées.
Au-delà des taxes, la dévaluation orchestrée du dollar représentera une pénalité monétaire additionnelle pour les exportateurs. Si la Réserve fédérale, sous la direction d’un président nommé par Donald Trump, abaissait significativement ses taux d’intérêt (par exemple, de 4,25 % à 2,25 %), le cours de change USD/EUR pourrait passer de 1,16 à 1,25. Pour les exportations européennes vers les États-Unis, cela se traduirait par une pénalité monétaire de 10 %. Ajoutée aux droits de douane existants de 15 %, le total atteindrait 25 %, rendant les produits européens structurellement plus chers et moins compétitifs sur le marché américain. La Banque Centrale européenne (BCE) n’aurait qu’une marge de manœuvre limitée pour contrer cette dévaluation sans compromettre sa propre stabilité.
Certes, une telle politique, transformant le dollar en arme, menacerait son statut de monnaie de réserve mondiale, accélérant la dédollarisation et la fragmentation du système financier. En liant la dette à la défense, les États-Unis éroderaient leur crédibilité, fracturant alliances et partenariats globaux. C’est l’aube d’un monde où la confiance se paie cher, précipitant un réalignement géopolitique et économique sans précédent.
Mais au point où en est le bouleversement mondial, cette stratégie n’est pas surprenante. Elle était prévue dans le plan de Stephen Miran qui avait théorisé un alignement tarifaire, commercial, militaire, énergétique et financier dans les négociations américaines. Ce plan est désormais en pleine exécution.
En conclusion, la guerre monétaire n’est pas encore ouvertement déclarée, mais ses prémices sont claires. Les Européens risquent d’en être les grands perdants, contraints de subir cette double peine (tarifs et dévaluation), tandis que d’autres acteurs comme la Chine se préparent à aligner leur parité de change sur celle des États-Unis pour se protéger.