Le dernier combat de la big tech : voler votre sommeil

Sommeil
Illustration © Getty Images
Amid Faljaoui

“Notre principal concurrent, ce n’est pas Disney +, ni Apple TV, ni HBO mais c’est le sommeil.” Cette phrase, signée Reed Hastings, le cofondateur de Netflix, date de 2017. À l’époque, elle faisait sourire. On la prenait pour une provocation bien marketée, un bon mot dans une conférence. Mais aujourd’hui, elle sonne comme une prophétie. Pire : comme un plan stratégique.

Car voilà où nous en sommes. Au cours de la dernière quinzaine d’années, notre temps d’écran a explosé. Selon le site d’information EMARKETER, les Américains passent désormais plus de 8 heures par jour à consommer du contenu numérique. Et attention, ce chiffre ne compte même pas les ados qui eux sont relies par intraveineuse à Tik Tok. Donc en réalité, c’est probablement bien plus.

Huit heures de contenu. Huit heures de sommeil — si on a de la chance. Et il ne reste que huit petites heures pour tout le reste : manger, aimer, travailler, faire du sport, parler à des humains, … voire, soyons fous, s’ennuyer un peu.

Le problème, c’est que pendant que le temps reste figé, le contenu, lui, ne fait qu’exploser. Et la faute — ou le mérite, selon de quel côté vous êtes — revient à l’intelligence artificielle générative. Avec ChatGPT, Sora et compagnie, créer une vidéo, un article, un podcast ou une chanson ne prend plus que quelques secondes. Résultat : une avalanche permanente de contenus nouveaux. Et tous veulent la même chose : vos yeux, vos oreilles, votre attention.

Mais vos journées sont pleines. Alors où trouver du temps ? Devinez. La nuit, pardi.

C’est pour ça que la phrase de Reed Hastings était prémonitoire. Le sommeil est devenu le dernier bastion à conquérir.
Et la Big Tech s’y attaque déjà. Des applis vous promettent de mieux dormir avec des sons relaxants, de la méditation guidée, des lumières douces. Mais derrière ces intentions de bien-être, il y a autre chose : l’objectif est de vous garder dans l’écosystème numérique, même quand vous êtes censé dormir.

Et demain ? Des contenus conçus pour être consommés pendant votre sommeil ? Des rêves assistés par IA ? Une publicité subliminale intégrée à vos phases paradoxales ? Ça semble fou… jusqu’à ce que ce soit testé.

Alors évidemment, il faut nuancer : une partie du temps passé en ligne est du multitâche. Oui, on peut regarder un Reel TikTok tout en répondant à un message Slack. Mais ça ne change rien au fond : l’économie de l’attention est arrivée à sa limite physique. Et certains acteurs — notamment les plateformes payantes — risquent de voir leur audience se faire grignoter par le tout-gratuit, le tout-infini, le tout-IA.

“À un moment, le gâteau cesse de grandir et les parts commencent à rétrécir.” C’est l’analyste internet de la société d’investissement Bernstein qui le dit. Et il a raison.

Alors, que faire ? Peut-être considérer le sommeil comme une richesse à protéger. Comme un bien précieux, non pas à optimiser, mais à préserver. Peut-être même que dans dix ans, une vraie nuit de sommeil non trackée, non connectée, deviendra un privilège réservé aux élites numériques en détox.

En attendant, souvenez-vous : si vous tombez de sommeil ce soir, c’est peut-être que vous résistez encore un peu.

Et donc, je dédie cette chronique pour celles et ceux qui éteignent encore leur téléphone avant de s’endormir. Bravo. Vous êtes les nouveaux rebelles.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content