“À la place du pétrole, nous exporterons des données.” Cette phrase du ministre saoudien des Finances résume bien le grand virage que prennent l’Arabie Saoudite et les Émirats : miser sur l’intelligence artificielle pour préparer l’après-pétrole.
Leur logique est simple : pour peser dans l’IA, il faut trois choses.
De l’argent. De l’énergie. Du foncier. Et les pays du Golfe ont les trois. Leurs fonds souverains pèsent des milliers de milliards. L’électricité ne manque pas. Et la place pour construire des data centers ne pose aucun problème.
La stratégie est déjà lancée. Des acteurs comme Humain (Arabie Saoudite) ou MGX (Abu Dhabi) nouent des partenariats avec les géants américains de la tech. En échange d’investissements massifs et de terrains pour héberger des centres de données, ces pays obtiennent l’accès à des technologies avancées, à des processeurs de pointe, et à des talents venus du monde entier.
Mais comme le rappelle le Financial Times, héberger des data centers ne suffit pas à créer un modèle économique solide. Ces installations consomment énormément d’eau et d’énergie, et elles créent peu d’emplois. Si elles ne sont pas reliées à un vrai tissu productif, elles risquent de devenir des coquilles vides.
La vraie opportunité, c’est d’intégrer l’IA dans l’économie locale. Dans les ports, l’énergie, les villes, les banques. Aramco, le bras armé pétrolier de l’Arabie Saoudite utilise déjà l’IA pour détecter les fuites dans ses pipelines. Quant aux Émirats, ils développent des smart cities où l’IA pilote la circulation, les réseaux, les services publics. Là, on parle de productivité réelle, de valeur ajoutée locale. Mais un obstacle reste immense : le manque de compétences locales. Eh oui, ce fichu capital humain se rappelle à notre bon souvenir. “Il n’est de richesse que d’hommes”, disait le philosophe Jean Bodin.
Et c’est vrai qu’aujourd’hui, les pays du Golfe dépendent des talents étrangers. Or, les jeunes saoudiens ou émiratis ont encore des résultats scolaires inférieurs à la moyenne OCDE, en maths, sciences ou lecture. Et en Arabie Saoudite, la moitié des postes liés à l’IA sont vacants, faute de profils formés. Si la région ne développe pas rapidement ses propres ingénieurs, chercheurs et développeurs, elle restera dépendante et vulnérable.
Autre enjeu majeur : la confiance. Les entreprises étrangères ne confient pas leurs données à n’importe qui. Il faut des lois claires, des garanties sur l’usage des données, et une gouvernance crédible. C’est la condition pour attirer les acteurs sérieux de l’IA mondiale. Et sur ce plan, la région ne répond pas à tous les critères et c’est un euphémisme.
Mais derrière tout ça, il y a aussi un jeu d’alliances géopolitiques très clair. Lequel ? Les États-Unis, de leur côté, voient dans le Golfe un partenaire stratégique pour contrer l’influence de la Chine dans l’IA. En travaillant avec Microsoft, NVIDIA ou AWS, les pays du Golfe adoptent les standards américains. En retour, Washington garantit leur accès aux technologies critiques — puces, logiciels, infrastructures — tout en bloquant toute tentative chinoise de s’implanter dans la région. C’est un échange de bons procédés.
Les pays du Golfe modernisent leur économie pour l’après-pétrole et sécurisent leurs approvisionnements. Et de leur côté, les États-Unis renforcent leur influence technologique et évitent une percée chinoise sur un terrain hautement stratégique.
Mais même avec cette alliance, rien n’est gagné d’avance. La raison ? Oui, les données sont peut-être le nouveau pétrole. Mais elles ne coulent pas toutes seules. Il faut une vision claire, de vraies compétences, un cadre solide. Bref, entre la vision des pays du Golfe et la réalité, il y a encore un sacré… décalage.